En réaction de l'article intitulé «L'histoire des juifs revisitée par Assaraf», paru dans le n°844 d'ALM du 25 février 2005, l'auteur du livre «Une certaine histoire des Juifs du Maroc», nous a adressé le texte suivant. Je ne puis que me féliciter du long article brillant consacré dans vos colonnes par un grand analyste Aziz Daki à mon livre «Une certaine histoire des juifs du Maroc» (Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 823 pages). Ce long exposé historique démontre, si besoin en était, l'extrême attention portée par la société marocaine à toutes les composantes de son patrimoine historique et culturel, en particulier celui de la communauté juive. Mon collègue Aziz Daki me permettra toutefois de réagir, en toute considération, à quelques-unes de ses affirmations et, notamment, au grief qu'il me fait de nourrir par ce livre «une vision révisionniste» de l'histoire. Il y a une certaine exagération dans ce terme d'autant qu'il désigne en Europe l'école historique qui met en cause la réalité du génocide nazi. La polémique est souhaitable pour autant qu'elle ne soit pas inutilement inconsidérée. Aziz Daki me reproche en fait d'avoir consacré trop de pages à certains épisodes tragiques de l'histoire judéo-marocaine (violences, pillages, terrorisme, massacres contre des Dhimmis). Ce serait, selon lui, aller à l'encontre du «témoignage de nombreux Marocains de confession juive et non des moindres, à commencer par Haïm Zafrani, Edmond Amran El Maleh et Simon Lévy qui ont toujours défendu l'idée de convergence et de dialogue qui s'est élaborée depuis deux mille ans entre les juifs et les autres communautés au Maroc». C'est une affirmation que je ne puis laisser passer sans explication. D'une part, étant un des principaux fondateurs «d'Identité et Dialogue», je crois avoir largement contribué à souligner les aspects les plus éclatants et les plus déterminants de la symbiose judéo-marocaine. D'autre part, peut-on dire que les témoins convoqués de la sorte partagent ce point de vue ? Aujourd'hui décédé, Haïm Zafrani était un spécialiste des traditions philosophiques, religieuses et culturelles du judaïsme marocain et ne s'aventurait pas dans le domaine de l'histoire stricto sensu. C'est donc commettre une erreur que de le mêler à la recherche et aux conclusions historiques. Quand à Edmond Amran El Maleh et à Simon Lévy, leur vision du passé découlerait très largement de leur engagement politique, respectable, mais très idéologiquement connoté, ce qui les amenait parfois à prendre de sérieuses libertés avec la réalité historique, en ce domaine comme dans d'autres… C'est leur droit, mais en dehors d'une histoire scientifique… Pour ma part, j'ai suivi les leçons du grand historien et médiéviste Marc Blosh qui disait de l'histoire française qu'elle était un tout et qu'il fallait assumer aussi bien le sacre de Reims que 1789. S'agissant de l'histoire du Maroc et des juifs marocains, il faut en assumer toutes les pages, les plus lumineuses comme les plus sombres. L'histoire ne se partage pas, elle se vit et se transmet, dans sa complexité et sa variété. Ce n'est point céder au «révisionnisme» que de se livrer à ce travail de mémoire qui, seul, peut préserver tant l'identité que le dialogue».