Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. La DST fouille les écoles de pilotage France, hiver 2001 Ce sont cinq petits bureaux anonymes, situés au deuxième sous-sol d'un vaste immeuble à la façade noire et impersonnelle, à l'endroit même où autrefois se trouvait le Vél'd'Hiv. Des locaux aux murs vert pâle, récemment repeints, où trônent sobrement une table, un ordinateur et trois chaises. À l'intérieur, la lumière est rarement éteinte. Dans ce bâtiment à proximité des berges de la Seine, situé rue Nélaton, les policiers de la DST interrogent le ban et l'arrière-ban du terrorisme international. Depuis quelques années, les «fous de Dieu», les poseurs de bombes, imams radicaux ou fournisseurs de faux papiers ont remplacé les éspions venus du froid. Plus de trois cents suspects ont été entendus depuis le 11 septembre 2001. Tous, mercenaires ou petites mains du terrorisme, ont droit à un traitement identique. Karim Mehdi, trente-cinq ans, marocain, est l'une de ces figures de la «nébuleuse» islamiste. Le 1er juin 2003, il est interpellé dans le cadre de l'enquête sur les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis alors qu'il est en transit à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. En provenance de Brême, il s'apprêtait à s'envoler vers la Réunion. Selon les policiers, Karim Mehdi, domicilié à Duisbourg, en Allemagne, a été en contact avec l'un des pirates de l'air du 11 septembre, Ziad Samir Jarrah, mais aussi avec Ramzi Binalshid, coordinateur présumé de l'opération, et Saïd Bahaji, l'un des financiers présumés. L'accusation repose essentiellement sur l'exploitation par la police allemande d'un carnet d'adresses de Mehdi, où figuraient les noms de ces trois personnes, ainsi que celui de Christian Ganczarski, proche de Nizar Naouar, auteur de l'attentat contre la synagogue de Djerba (Tunisie). Lors de son arrestation, Mehdi a sur lui des billets d'avion de retour de la Réunion, un appareil photo et une importante documentation touristique sur l'île. La garde à vue peut durer quatre-vingt-seize heures en matière de terrorisme. Une course contre la montre commence. Interpellé à 12h20, il est interrogé jusqu'à 22 heures. À 23h05, il rejoint sa cellule et reçoit un repas. À 0h30, l'interrogatoire reprend jusqu'à 4h30. Cela débute par des questions banales. On croirait une conversation de bon aloi. Parcours personnel, voyage à l'étranger, engagement religieux. Puis le ton se durcit. Selon la technique des cercles concentriques, les questions se rapprochent du cœur du sujet: la préparation d'un attentat et la participation du suspect. Un avocat raconte : «C'est comme au cinéma. Parmi les enquêteurs de la DST, il y a les gentils et les méchants.» À 7h15, les questions reprennent après un réveil matinal. Jusqu'à 14h30. Après une demi-heure de «repos», Karim Mehdi est à nouveau entendu de 15 heures à 18 heures. À 19h17, il reçoit un sandwich. De 21h30 à 23 heures, nouvelles audition. Retour en cellule. Puis, nouvel interrogatoire de 0h30 à 3h15. Quanrante-cinq minutes de pause; Audition de 4 à 5 heures du matin. Il peut alors dormir… une heure dix. L'aube ne s'est pas encore levée sur la Seine qui coule aux portes du siège de la DST. De toute façon, le suspect ne verrait pas la lumière du jour. Il perd ses repères. Mehdi est entendu à nouveau de 7h30 à 11h20. Chaque fois, selon un ballet bien réglé, l'homme passe de sa cellule exiguë à la pièce réservée aux interrogatoires. Des allers-retours usants. Le même rythme va se poursuivre pendant quatre jours. Selon son avocat, Xavier Autain, Mehdi n'aurait pas bénéficié tout au long de ses quatre jours de garde à vue de temps de pause de plus d'une heure et demie. «Les policiers eux-mêmes ne pourraient supporter un tel rythme», relève l'avocat. Une équipe de nuit, composée de deux enquêteurs, et une équipe de jour se relaient. Pour coincer les suspects qu'elle soumet à ce traitement de choc, la DST dispose d'une botte secrète : la téléphonie. Ce mot désigne l'étude des «fadets» des suspects. Ces listes des appels entrants et sortants d'une ligne permettent de tirer des liens invisibles entre les membres d'un réseau. L'arborescence prend des allures de toile mondiale, de Paris à Djalalabad, où les connexions indirectes forment des labyrinthes ésotériques. Les logiciels de recoupements téléphoniques sont une arme redoutable. Comme les autres, Karim Mehdi doit répondre de ses relations téléphoniques. Au fil des auditions, le Marocain flanche. Les PV se noircissent. Il reconnaît être membre d'Al Qaïda et avoir séjourné en Afghanistan, en Bosnie et au Pakistan. Il assure qu'il avait pour mission de faire des repérages sur les installations hôtelières de la Réunion afin d'y commettre un attentat au cours de l'été 2003, «comme celui de Bali». L'attentat devait se faire au moyen d'une voiture piégée. La télécommande devant activer le véhicule se trouvait en Allemagne et l'engin explosif au Kenya, d'où devait arriver un kamikaze. Selon Mehdi, d'autres projets étaient en cours en Europe. Il était prévu d'utiliser de smodèles réduits téléguidés chargés d'explosifs. Lui-même aurait prospecté des magasins d'engins télécommandés, alors qu'un complice aurait pratiqué des essais fructueux. Depuis, Mehdi, mis en examen et écroué pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», est revenu sur l'ensemble de ses déclarations. Son avocat a déposé une requête en nullité pour dénoncer notamment des «traitements inhumains et dégradants» à son encontre. «Ces, privations de sommeil expliquent les incohérences dans ses déclarations», souligne-t-il. Pour lui son client n'a rien à voir avec le terrorisme malgré son parcours chaotique. Il reste que sa requête a été rejetée par la cour d'appel de Paris, ouvrant ainsi la voie à un procès. Du temps de la guerre froide, la DST ne s'intéressait guère qu'aux taupes de Moscou, de Sofia et de Bucarest. Mais l'Empire rouge s'est écroulé. Avant même la chute du mur de Berlin, Rémi Pautrat, directeur de la DST de 1985 à 1986, sent la menace mondiale évoluer. À son instigation, le service rédige un Atlas mondial de l'Islam activiste. Un ancien espion de la DGSE recruté à la DST, Philippe Rondot, et le directeur de l'Institut de criminologie de Paris, Xavier Raufer, cornaquent la rédaction de cette bible du terrorisme. Après les attentats du 11 septembre, la DST bénéficie de renforts conséquents, environ cinquante policiers, surnommés la «promotion Ben La den». Un officier déplore : «Le seul problème, c'est que nous n'avions pas les locaux pour les accueillir.» Après la réélection de Jacques Chirac en 2002, un ancien préfet de la Mayenne, Pierre de Bousquet de Florian, quarante-huit ans, conseiller à l'Élysée, prend la direction de ce service. Lunettes fines, front large, il n'était pas particulièrement préparé à cette tâche. Cet énarque n'a que quelques mois pour se plonger dans le chaudron de la menace islamiste. Depuis son bureau, au treizième étage, où il dispose d'une vue imperenable sur tout Paris, son regard se porte plus souvent sur la carte du monde affichée au mur que sur la Maison de la radio, située en face, sur l'autre berge de la Seine. Le directeur scrute les terrains du terrorisme international, de l'Irak à la Corne de l'Afrique en passant par l'Asie du Sud-Est. Son adjoint Jean-François Clair est un des vétérans de la DST. Il le guide dans les labyrinthes de la guerre secrète contre l'islamisme. Depuis le 11 septembre 2001, le service peut s'enorgueillir d'avoir évité deux attentats sur le sol français Fin 2002, la DST a démantelé une cellule terroriste qui préparait un attentat chimique contre des intérêts russes en France. Par ailleurs, des précautions ont été prises. Aperès les attentats de New York, les agents du contre-espionnage ont passé en revue toutes les écoles de pilotage du pays. Ils ont entendu plusieurs dizaines d'apprentis pilotes. Pour détecter parmi eux des candidats au suicide. Le passé doit en effet servir de leçon. Avant même le 11 septembre, la DST s'intéressait aux pilotes d'AlQaïda. Deux jours avant les attentats suicides, un lieutenant du service rédige un procès-verbal sur le Français Zacarias Moussaoui, trente-six ans, interpellé le 16 août 2001 aux États-Unis où il se trouvait en situation irrégulière. Après avoir relaté ses séjours dans les camps d'Oussama Ben Laden, le fonctionnaire note le comportement curieux de ce «moudjahid fanatique» décidé «à combattre les juifs et les chrétiens»: «La présence de Moussaoui sur le sol américain s'inscrit dans le cadre d'une formation dans une école aéronautique dans la ville de Minneapolis. En effet, l'intéressé prenait des cours de pilotage sur simulateur de Boeing 747 bien qu'il ne soit pas pilote, ne possédant que des connaissances rudimentaires dans ce domaine.» Selon la DST, un instructeur s'est étonné du fait que «Moussaoui s'intéressait de près aux portes des Boeing 747 et à leurs systèmes d'ouverture». Le même enseignant a indiqué que «Moussaoui emblait surpris d'apprendre que les portes ne pouvaient s'ouvrir en vol». De plus, le Français «ne s'intéressait pas aux phases de décollage et d'atterissage et ne voulait apprendre que le pilotage en vol horizontal». Il s'est montré «particulièrement désireux d'effectuer une simulation de vol sur le trajet aéroport Heathrow de Londres -aéroport John F. Kennedy». À la fin de l'été 2001, le chef de la sous-direction antiterroriste de la DST, Louis Caprioli, rencontre le correspondant du FBI à Paris : «Nous lui avons dit : vous avez certainement chez vous un terroriste prêt à détourner un avion.»