Farid, un jeune de Khouribga, a passé seulement quatre ans à l'école pour commencer à rêver d'émigrer clandestinement. Il a échoué une première puis une deuxième fois. Farid n'a jamais pensé passer sa jeunesse à rechercher à quitter son pays. Il rêvait de décrocher un diplôme lui permettant d'avoir un job honnête et aider sa famille de dépasser le seuil de la pauvreté. Cependant, ses rêves ont été brisés à son adolescence. En fait, sa mère l'a inscrit à l'une des écoles de sa ville natale, Khouribga. Elle espérait le voir, un jour, un grand fonctionnaire. Seulement, il n'a pu dépasser la quatrième année d'enseignement fondamentale. Elle n'a pas su quoi lui faire, elle qui est veuve depuis une dizaine d'année et qui est chargée de quatre autre enfants. Elle craignait de le voir entre les bras de la rue comme d'autres enfants. Elle a essayé de l'aider à avoir un métier. Mais en vain. A chaque fois, il se trouvait chassé par ses employeurs. Pourquoi ? Il leur créait des problèmes. Au fil des jours, il s'est trouvé, effectivement, entre les bras de la rue et entre les griffes de l'alcool et du haschisch. Les années passent, Farid a atteint les vingt-trois printemps. Il ne faisait rien que manger, prendre sa dose en haschisch et en vin et dormir, sur le compte de sa mère. «Pourquoi pas moi ?», s'est-il interrogé un jour, lorsqu'il a remarqué le changement de la vie de plusieurs jeunes de son quartier qui avaient émigré vers l'Europe. La plupart d'eux ont émigré clandestinement. Ils retournaient après quelques années chez eux, en bonne santé et avec des bagnoles, des valises renfermant des effets vestimentaires, des bicyclettes pour leurs frères, des cadeaux pour la famille. Une image qui s'est calquée dans sa mémoire. Depuis, l'Eldorado est devenu un cauchemar qui l'angoisse chaque jour et nuit. Pour le chasser, il a recours au haschisch et au vin. D'un jour à l'autre, il a pris la décision d'aller à Casablanca. «Je veux émigrer par n'importe quel moyen…», dit-il à sa mère qui s'est contentée de pleurer. Elle a essayé de l'en dissuader. Mais en vain. «Je ne peux plus abandonner mon idée…», lui affirme-t-il. Farid a regagné Casablanca, a rencontré d'autres rêveurs de l'Eldorado, a passé quelques jours à guetter les bateaux au port. Il est arrivé à monter, avec ses compagnons, dans un bateau qui ira à destination de l'Europe. Après quelques jours, il s'est trouvé sur la terre espagnole. Malheureusement, ses pieds n'ont pas dépassé le port pour être arrêté et refoulé. La Chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Tanger l'a condamné à deux mois de prison avec sursis pour émigration clandestine. Quand il a été libéré, l'idée de l'émigration n'a fait que le hanter encore plus. Il n'est pas retourné chez lui, à Khouribga, mais il a regagné Nador. Il y est resté à vagabonder, mendier et vendre des cigarettes en détail. Il y a passé quelques mois avant de retourner chez lui. Sa mère est restée bouche-bée lorsqu'elle lui a ouvert la porte, elle croyait ne jamais plus le revoir. Elle n'avait plus d'information sur lui depuis plusieurs mois. Un mois plus tard, il s'est adressé à elle pour lui demander de l'argent. Pour en faire quoi ? Aller ailleurs. Où ? Lui, non plus, ne sait rien au juste. Elle s'est débrouillée pour lui verser dix mille dirhams. Farid s'est rendu à Tanger. Il a rencontré une personne qui lui a proposé de l'aider à émigrer clandestinement à bord d'une patera. Il a accepté avec d'autres jeunes. Après quelques heures, dans la nuit, à la mer, Farid fut jeté avec ses compagnons sur les côtes d'Almeria. Cependant, il a été arrêté et mis entre les mains des autorités marocaines et condamné une fois encore à deux mois de prison avec sursis par le tribunal de première instance de Tanger. Rêvera-t-il encore une fois de l'Eldorado? Certainement oui, puisqu'il n'a toujours rien à faire chez lui.