Les Libanais ont rendu un dernier adieu à Rafic Hariri. Le pays a été sévèrement ébranlé par l'attentat meurtrier et la «secousse tellurique» n'a pas épargné la Syrie voisine, accusée d'avoir fomenté l'assassinat d'un acteur incontournable de la scène libanaise. «La Syrie dehors !», «Vengeance! Vengeance contre Lahoud et Bachar», c'est le genre de slogans scandés par des dizaines de milliers de Libanais, marchant sur le sillage de l'ambulance qui raccompagnait Rafic Hariri à sa dernière demeure. Pourtant, le défilé était marqué d'un silence religieux lors de son départ. La douleur des Libanais ne pouvait occulter la haine qu'ils éprouvent pour ceux qui leur ont pris leur bien aimé Rafic. La disparition de l'homme qui était dévoué, corps et âme, pour son pays et pour ses compatriotes, est une lourde perte. Ses réalisations parlent d'elles-mêmes. Du coup, il est clair que le pays du cèdre traverse, aujourd'hui, une période de hautes tensions. L'incertitude, de tout temps pesante sur ce pays, est plus que jamais à l'ordre du jour. Des doigts sont pointés çà et là. Le communiqué revendicatif de l'attentat qui a secoué la capitale libanaise n'étant pas très crédible, ou pas crédible du tout, les regards accusateurs se sont tournés vers le voisin syrien et, dans la foulée, vers le pouvoir libanais, inféodé à Damas. Cependant, certains observateurs, avertis pour la plupart, pensent que Damas n'a pas plus d'intérêt que d'embarras à être impliqué dans cet ignoble attentat. Opinion qui n'est pas du goût de l'opposition libanaise, qui a fustigé de tous les mots les pouvoirs libanais et syrien. Si le pouvoir libanais a été tenu pour responsable de ce crime, la responsabilité syrienne a été mise en avant en sa qualité de «puissance mandataire». Ainsi, l'opposition a exigé le départ du pouvoir actuel qui, selon elle, a perdu toute légitimité. L'opposition a également réclamé la formation d'un gouvernement transitoire, ainsi que le retrait total des troupes syriennes avant les élections législatives, prévues pour le printemps. Sur la liste de ses «injonctions», elle a réclamé une la mise en place d'une Commission d'enquête internationale, légitimée par «l'absence absolue de confiance de l'opposition dans le pouvoir en place.» L'opposition a non seulement accusé le pouvoir d'être responsable de l'attentat qui a endeuillé le Liban, mais, aussi, a-t-il appelé à interdire tout membre du gouvernement de faire partie du cortège funèbre de Rafik Hariri. La famille du défunt, également, avait refusé de voir quiconque représentant le pouvoir actuel s'associer à son deuil. Invectives et accusations auront, ainsi, constitué les principales déclarations à la suite de cette tragédie. Face à cette montée en imputations, la réaction de Bachar Al-Assad ne s'est pas fait attendre. Le président syrien avait qualifié l'opération terroriste qui a coûté la vie à Rafic Hariri de «terrible acte criminel». Il a par ailleurs lancé un appel au peuple libanais pour le renforcement de son unité nationale, tout en dénonçant «ceux qui veulent jeter le trouble et semer la division dans le pays». La présence syrienne au Liban, à travers quelque 14.000 soldats stationnés dans le pays, a de tout temps été qualifiée d'ingérence de Damas dans les affaires intérieures du Liban. Cette situation a été au centre de frictions entre Rafic Hariri et le pouvoir syrien. En effet, la politique de l'ancien Premier ministre faisait l'objet de pressions de la part de la Syrie et les relations qu'il entretenait avec ce pays n'étaient manifestement pas de toute quiétude. L'indélicatesse de ces relations aura eu pour finalité la démission de Rafic Hariri pour se joindre à l'opposition, en octobre 2004. L'ancien Premier ministre avait justifié son jet d'éponge par des divergences entre lui et le président Émile Lahoud, un allié de Damas. À l'époque, la crise politique que traverse le Liban était à son comble. Le Conseil de sécurité des Nations unies s'y était mêlé, avec l'adoption d'une résolution réclamant le départ des soldats syriens installés au Liban, en plus de la cessation de «l'ingérence de la Syrie dans les affaires de son petit voisin». Résolution aussitôt rejetée par le Liban, dont la réponse du Parlement s'est faite dans les heures qui suivirent. En modifiant la Constitution du pays, le Parlement avait reconduit Émile Lahoud à son poste de président. Cependant, la résolution de l'ONU aura conforté l'opposition, dont les positions sont devenues de plus en plus hostiles à la présence syrienne en territoire libanais. De son côté, le pouvoir en place a qualifié celle-ci de complot visant la stabilité aussi du Liban que de la Syrie. Une autre thèse veut que ce soit Israël qui ait fomenté l'assassinat de Rafic Hariri, car, en toute logique, quel que soit le commanditaire de ce crime odieux, Damas devait être le premier pointé du doigt. Par la suite, les soldats syriens seront rapatriés et, justement, c'est là un des souhaits chers à l'Etat hébreu. Ainsi vont les spéculations et, dans tout ce capharnaüm, tout reste envisageable. Cependant, ce qui est certain aujourd'hui, c'est que le Liban a perdu l'un de ses grands Hommes. La disparition de Rafic Hariri est, à coup sûr, un coup dur pour le Liban, qui bénéficiait, à l'échelle internationale, de la notoriété de son ancien Premier ministre, cet architecte qui rêvait de reconstruire le pays du cèdre.