Nabil Ayouch a réagi à la demande d'interdiction de son dernier film par le PJD. Il a organisé, mercredi dernier, une projection privée pour la presse. Description des trois séquences qui ont provoqué la colère des Islamistes et les réactions des uns et des autres. Mercredi 8 janvier. Le Parti justice et développement (PJD) a fait sensation au Parlement en demandant l'interdiction du dernier film de Nabil Ayouch, ainsi que le remboursement de l'aide publique obtenue par le cinéaste. La raison de cette demande : « Une minute de soleil en moins » contient des séquences « obscènes ». Nabil Ayouch a réagi à ses censeurs en organisant une projection privée pour la presse. Les séquences incriminées sont au nombre de trois. Dans la première scène, les deux protagonistes, Kamal et Naïma, s'ébattent nus sur un lit. L'homme se couche sur son ventre et la femme le chevauche. À un moment, on aperçoit son sexe en érection. Dans la deuxième scène, les mêmes, encore une fois nus, recommencent. Cette fois-ci, Naïma introduit son doigt dans l'anus de l'homme et s'en sert comme d'un godemiché. Dans la troisième et dernière scène incriminée, les deux protagonistes sont enveloppés dans une couverture. Kamal prend avec brutalité Naïma. Extraites du film et racontées de cette manière, ces scènes peuvent choquer. Parce qu'elles ne sont plus situées dans la trame du long-métrage. Et le curieux, c'est qu'il est pratiquement impossible de parler de ce film, indépendamment de ces trois séquences. Le PJD l'a voulu ainsi. Même s'ils ne s'agit pas de discuter de la qualité de ce film, il faut toutefois préciser que les deux protagonistes d'«Une minute de soleil en moins» n'échangent à aucun moment du film la parole, et que la seule communication qu'ils donnent à voir est d'ordre sexuel. Interrogé sur le pourquoi de cette interdiction, Mustapha Ramid, président du groupe parlementaire du PJD, insiste sur les raisons déjà avancées par les parlementaires de ce groupe. «Nous ne pouvons tolérer que des scènes obscènes, pornographiques, contraires à la culture islamique de notre pays bénéficient du soutien de l'Etat », nous dit-il. Nabil Ayouch confie pour sa part que la première réaction que lui a inspiré cette condamnation est le rire. «J'aurais aimé en rire et la trouver ridicule si elle n'était pas dangereuse. Que pensez-vous de gens qui interdisent un film qu'ils n'ont pas vu !», s'étonne-t-il. Quand on demande à Mustapha Ramid sur quoi se fonde cette condamnation du moment que le film n'a pas encore été projeté, il répond sans hésitation : «Sur les journaux. Est-ce que le réalisateur a démenti les descriptions de son film rapportées dans des journaux ? Non ! Cela veut dire que ces scènes existent et qu'il tient à ce qu'elles restent». Que Nabil Ayouch tienne à ce que son film ne soit pas privé de ses scènes, nul doute là-dessus. Puisqu'il a refusé de supprimer huit plans de son long-métrage comme le lui a demandé la commission nationale du contrôle de films qui est la seule habilitée à lui octroyer un visa d'exploitation. Nabil Ayouch s'est pris ensuite au «modèle de société unique» proposé par le PJD. «Ils veulent imposer un schéma de société où l'art n'a pas sa place, où la représentativité du corps est bannie. Et moi je suis pas d'accord !», s'indigne-t-il. Il n'est pas le seul, puisque le Groupement des auteurs réalisateurs producteurs marocains (GARP) a dénoncé «l'intolérance» du PJD. Pareil pour la chambre Marocaine des Producteurs de Films (CMPF) qui dénonce également l'ingérence du PJD dans une production artistique. Les membres du CMPF écrivent dans un communiqué : «la liberté d'expression artistique et particulièrement cinématographique ne doit, et ne peut avoir comme juge que le public qui vient voir les films, et qui, lui, est le véritable représentant de la société ». En fait, là se situe la véritable question. La seule censure valable est celle du goût. Personne n'oblige quiconque à voir les scènes sexuelles ou obscènes dans le film de Nabil Ayouch. Personne n'a habilité le PJD à s'instituer police de mœurs de nos productions artistiques. Ramid dit que son groupe n'est pas opposé à une industrie cinématographique florissante dans notre pays, «pourvu qu'elle traduise la réalité des problèmes sociaux et divertisse les gens», précise-t-il. Est-ce que la sexualité n'est pas une chose bien réelle dans notre société ? «Ce que ces gens ont fait au Parlement, c'est de la démagogie cheap, bas de gamme !», déplore Nabil Ayouch. Et d'ajouter : «En faisant ce film, je savais pertinemment qu'il allait choquer des gens ». Il se dit toutefois très déçu par le fait que le débat soit placé au niveau de la sexualité. Ce réalisateur ne veut pas revêtir la peau de la victime, c'est un adversaire prêt à engager un débat avec ces censeurs, y «compris sur le plan religieux», ^récise-t-il. Il n'a pas eu des mots tendres envers la réaction tempérée du Ministre de la Communication. «J'attends qu'il prenne position», dit-il. Et voilà comment un film, commandé par la chaîne ARTE, se retrouve au centre d'une polémique qui risque de déchirer la société marocaine.