Rachid Slimi est directeur exécutif chargé du développement au sein de l'université Al Akhawayn. S'exprimant à titre personnel, en observateur avisé des systèmes de lobbying et des circuits de négociations aux Etats-Unis, il insiste sur la nécessité de connaître les rouages et les circuits américains de prise de décision. Entretien. ALM : A la lumière de la dernière déclaration du ministre délégué français au Commerce extérieur, peut-on dire que le Maroc doit choisir entre l'Union européenne et les Etats-Unis ? Rachid Slimi : J'ai bel et bien lu cette déclaration. J'ai été étonné de lire dans la presse qu'il s'agit d'une guerre entre les deux entités. A mon avis, ces propos ont été quelque peu gonflés. A aucun moment le responsable français ne parle d'une déclaration de guerre contre les Etats-Unis ni n'a remis en cause l'accord de libre-échange entre ce pays et le nôtre. Bien sûr que cela va donner lieu à quelques divergences entre les deux puissances, notamment sur des dossiers comme l'agriculture. Mais de là à parler d'une opposition entre l'UE et les U.S.A ! D'autant qu'il va de soi que les discussions entre Rabat et Washington ne peuvent être entamées sans une consultation préalable avec le partenaire européen. Et je ne vois pas pourquoi Bruxelles ou, pour en rester à la déclaration de M. Loos, Paris s'opposeraient à un accord qui s'inscrit dans une logique de globalisation par laquelle tous les pays sont concernés. Mais le fait que le Maroc se soit tourné vers les Etats-Unis, ne serait-ce pas une réaction politique aux blocages qu'accusent les négociations avec l'UE ? Je ne vois pas les choses de cette façon. Ce serait réduire ces négociations à des enjeux politiques. Il est plus déterminant pour le Maroc de multiplier ses partenaires économiques. Il s'agit à mon avis d'une approche pro-active, agissante et non de la réponse à des craintes que les négociations avec Bruxelles n'aboutissent pas. La situation géostratégique de notre pays et son potentiel de développement font qu'il peut jouer un rôle de passerelle entre le Nord et le Sud et la Côte Est et Ouest de l'Atlantique. Dans tous les cas, le Maroc n'a pas vraiment le choix, quant à la diversification de ses partenaires économiques. Ce ne sont que les conséquences des accords de l'OMC auxquels le Maroc a souscrit. Il y va de sa survie économique. Quelles sont dans ce cas les perspectives de croissance économique pour le Maroc ? Que peut gagner le pays de cet accord ? Il y a d'abord et surtout le coup de fouet que la perspective d'un tel accord donnera au processus de mise à niveau que nous vivons actuellement. Une telle démarche ne peut que tirer vers le haut à la fois les ambitions et le développement, tous secteurs confondus, de l'économie, de l'éducation et de la formation au Maroc. Ce sont là les véritables enjeux, les grands avantages que notre pays peut tirer en accompagnant ce long processus de négociations par l'apport de certains ingrédients dont nous ne disposons pas encore. Mais, quel que soit l'aboutissement de cet accord, on aura, entre temps, gagné sur plus d'un plan. Mais n'y a-t-il pas le risque d'assister à l'effet inverse ? L'économie mexicaine a fait les frais de l'accord NEFTA. Ne risque-t-on pas de subir le même sort ? Le projet d'accord de libre-échange représente plus une opportunité qu'un risque à mon avis. Mais il faut que l'on sache ce que l'on veut : définir des objectifs, mettre en place des stratégies à court, moyen et long terme pour accompagner cette marche, savoir la nature des impacts d'un tel accord à la fois sur l'économie et sur le bien-être des Marocains. Il y a certes un semblant de risque qui peut être dû à la rigueur de nos interlocuteurs. Mais c'est à nous de défendre nos intérêts et être à la hauteur de ces interlocuteurs. Le plus important, et j'insiste la-dessus, est de savoir à qui on a affaire. Une connaissance, aussi bien par les négociateurs que par les décideurs marocains, des circuits américains de prise de décision s'impose avec urgence. Il faut savoir que ce n'est pas en frappant aux portes de la Maison Blanche qu'on obtiendra satisfaction. Une décision est en grande partie du ressort des lobbies, des associations et de l'Académia- les universités ou autres qui sont les véritables providers d'idées- américains. Il est également crucial d'installer une veille, par un travail de benchmark et de suivi des précédents accords entre les U.S.A et d'autres pays. D'autant que, comme c'était les cas lors des négociations avec la Jordanie, ce sont les mêmes responsables américains qui mènent les négociations… D'où justement l'importance de maîtriser leurs techniques de négociations, menées avec des pays comme Israël, la Jordanie ou le Mexique, le contenu de ces négociations et leur processus. Un travail de communication et de sensibilisation des Marocains est aussi à mener et à tous les niveaux. Ce que je soupçonne, c'est que cet effort ne soit pas fait. A votre avis, quels sont les points prioritaires dont le Maroc aura à discuter dans ces négociations ? Tant que ces négociations n'ont pas encore été entamées, l'on ne pourra pas trancher sur leur objet. Ceci dit, je pense qu'elles s'articuleront sur le marché financier. Il s'agit par ailleurs d'un point qui risque de constituer une pierre d'achoppement dans ces négociations mais qui aidera à améliorer la levée de fonds dans l'économie nationale. Il y a aussi d'autres secteurs, comme les nouvelles technologies, qui feront très probablement l'objet de ces discussions. Il faut noter à cet égard que les Américains sont intransigeants quant à la propriété intellectuelle. L'exemple américain dans ce domaine est un cas d'école. A cela s ‘ajoutent l'audiovisuel, la formation et la recherche et développement. Ce sont là des secteurs où notre pays a plus d'une leçon à apprendre et plus d'un avantage à tirer. Pourvu que l'on maîtrise, et j'insiste encore une fois, la culture de nos interlocuteurs.