Un code de la famille pour moderniser la Moudawana ! Voilà qui est fait, depuis déjà un an. A l'image de la femme rurale, celle de Lissasfa ignore tout de ce texte. «Non, je ne sais pas ce que c'est que la Moudawana !», telle était la réponse unanime d'une douzaine de femmes de Lissasfa, à Casablanca, interrogées aléatoirement au sujet du nouveau code de la famille. Cette commune, située à pas plus de 10 km du centre de Casablanca est apparemment déconnectée de ce qui se trame dans les tables rondes des associations féministes. Les préoccupations des femmes de cet ancien douar sont tout à fait autres. «J'ai divorcé alors que mon enfant avait 40 jours. Je ne pouvais plus continuer à vivre avec un homme qui voulait que je l'entretienne», a expliqué clairement Mina, une vendeuse de bouquets de menthe et de persil-coriandre. Cette femme, au visage complètement fané, est mère d'un jeune homme de 16 ans. Pourtant, elle dépasse à peine les 30 ans. Djellaba déchirée et chaussures en plastique aux pieds, Mina vit «tranquillement» chez ses parents avec son fils en se contentant d'un revenu moyen journalier de 10Dh. «Je n'ai rien et je ne manque de rien !», a-t-elle déclaré pieusement. Dans les ruelles sales de cette commune, où habitat insalubre se conjugue avec immondices, les enfants jouent bruyamment au foot avec une grosse pomme de terre pourrie. «Vous voulez que je vous donne mon avis sur quelle Moudawana ?», a répondu Houda, une jeune fille de 19 ans, étudiante dans une école de secrétariat. Pour elle, Moudawana veut dire textes de lois. Cette fille trouve que la condition de la femme n'a connu aucune évolution. «Je viens d'apprendre, pendant l'été dernier, que ma vraie mère est la cousine de ma mère adoptive et que je suis née d'un père inconnu», a déclaré amèrement cette dernière. «Ici, les mariages, quand ils ont lieu, ne font pas long feu. C'est dû essentiellement à la misère qui nous tenaille», rajoute Houda. Amina et Bouchra, quant à elles, continuent d'espérer de trouver le mari idéal. Ne sachant même pas ce que c'est que le nouveau code de la famille ni même ce que c'est que la Moudawana, ces deux jeunes étudiantes de 18 et 20 ans sont préoccupées surtout par le chômage qui les guette. «La femme à Lissasfa est battue, répudiée, violentée… Ceci est tellement courant qu'il a fini par être normal», a expliqué Bouchra, la plus jeune d'entre elles. Marchant à pas d'oie, Chaïbia ne sait rien de la Moudawana. Son grand souci est sa fille trop résignée pour demander le divorce. «Je vis avec mes deux petits-fils orphelins, avec ma fille mariée à un chômeur qui ne fait que se soûler ainsi que leurs deux enfants», se confie cette sexagénaire. Et a ajouté, «La vie est dure. C'est ma fille qui travaille dans une usine pour assurer difficilement le pain quotidien pour nous tout les sept». Pour Khadija et Saâdia, la trentaine, originaires d'El Jadida et installées depuis quelques années à Lissasfa, l'expérience maritale s'est conclu, rapidement en divorce. «Nous avons divorcé aussi facilement que nous nous sommes mariées», ont-elles répondu avant d'éclater d'un fou rire. Pour leur troisième amie, Fatima, célibataire, le mariage est un espoir ardent. «Je dois me trouver un mari d'abord. Après j'essaierai de me renseigner sur la Moudawana et les droits de la femme», a déclaré cette dernière, le sourire aux lèvres. Naïma, femme au foyer, installée sur le gazon des rares espaces verts de la région, profite des rayons du soleil par cet hiver trop froid. Pour elle, «un homme ne peut plus se marier avec quatre femmes parce qu'il n'a plus les moyens de le faire». Il est clair que pour les femmes de Lissasfa, il n y a ni Moudawana, ni nouveau code de la famille. Il y a une seule réalité et un seul ennemi qu'il faut traquer : la misère et la famine !