Après les deux séances tenues à Rabat les 21 et 22 décembre dernier, suivies le samedi 29 janvier par une séance organisée à Figuig, l'IER a débarqué, mercredi 2 février, à Errachidia. Et de quatre pour les séances des auditions publiques des victimes des violations passées des droits de l'Homme au Maroc (1956 à 1999). Cette fois, à Errachidia. La ville et sa région ont fait l'objet de graves atteintes aux droits de l'Homme, notamment les disparitions forcées et les détentions abusives enregistrées à Errachidia, Tinghir, Imilchil et Errich. Des atteintes se rapportant dans leur grande majorité aux évènements de mars 1973. Dans des propos tenus mercredi 2 février, lors de la quatrième séance des auditions publiques, et recueillis dans leur totalité par l'Agence MAP, les témoins ont évoqué leurs souffrances ainsi que celles de leurs parents et proches. Parmi eux, Ali Skounti, né en 1932. Arrêté le 8 mars 1973, il a été transféré d'abord dans un centre de détention à Fès et, ensuite, emmené au «Corbis» de Casablanca (aéroport d'Anfa), puis au centre de Derb Moulay Chérif. Condamné à la prison à vie par un tribunal militaire, Skounti a été libéré en 1980 dans le cadre d'une amnistie royale. « Notre militantisme émanait de notre foi en notre citoyenneté », a-t-il dit. Peu loquace, Mme Merrou Hammi, qui ne parle que l'amazigh, n'en a pas moins été touchante. Agée de 75 ans, elle a raconté les affres qu'elle a endurées durant sept mois à la prison de Goulmima. « Nous ne vivions que de la souffrance ». « Je souffre encore. Je ne peux pas marcher. Ils nous ont beaucoup torturés…Nous pleurions tout le temps. Cela a duré sept mois et demi », a-t-elle relaté. Son seul tort est qu'elle était l'épouse de Zayed Bassou, accusé d'avoir été impliqué dans les événements précités. Tout comme le seul tort de Abderrahmane Abd El Alim, autre témoin, est qu'il était le fils du militant Sidi Hamou. Consacrant son témoignage aux conditions de détention et aux souffrances endurées par les membres de sa famille, il a raconté, le cœur serré, comment il a été arrêté en compagnie de sa mère alors qu'il était encore bébé. Mohamed Ghacha a, lui, été parmi les inculpés dits du « groupe islamiste des 71 de Marrakech ». Rendant compte des souffrances et violations qu'il a subies ainsi que sa famille durant sa détention vers la fin des années 1980, Ghacha (40 ans) a indiqué que les souffrances de sa famille ont duré avant comme après son arrestation, le 2 août 1985 à Khémisset, et son transfert à Kénitra où il a subi pendant l'interrogatoire « différentes formes de torture : falaqa, Attyara et des insultes», jusqu'à la perte de conscience. Après son transfert à Derb Moulay Chérif, il a été condamné à 30 années de prison. A la prison civile de Safi, «nous avons souffert des agissements du directeur du pénitencier qui, a une fois ayant pris connaissance de leur appartenance islamiste, il leur a interdit l'appel à la prière et l'accomplissement de la prière collective. Des agissements pour lesquels Addi Laaraj a prié pour que dieu pardonne les tortionnaires. Avec simplicité et spontanéité, l'ancien détenu, surnommé « Adichane », a relaté, du haut de ses 75 ans, les souffrances qu'il a endurées durant ses multiples séjours dans les prisons de Goulmima, Fès, Corbis et Derb Moulay Cherif. Posé, il a relaté comment, suite aux événements du 3 mars 1973 à Amlagou, il a été assiégé par quelque 400 éléments des forces de l'ordre, qui l'ont dépossédé de tous ses biens, pour être jugé et condamné à la prison à perpétuité, avant d'être innocenté et libéré, le 18 juillet 1980, suite à l'amnistie royale, puis continuellement convoqué par les autorités, jusqu'en 1999. Des souffrances, Mohamed Fadili en a bien connues et dans plusieurs centres de détention. La plus pénible est son transfert, en compagnie d'autres détenus, au centre de détention de l'aéroport d'Anfa. Relatant l'étape de sa détention à Agdz, il a déclaré que lors d'une nuit pluvieuse, l'eau et la boue ont littéralement envahi la cellule qu'il partageait avec d'autres détenus, soulignant que les gardiens avaient attendu jusqu'au lever du jour pour intervenir. Fadili (76 ans) avait été arrêté sur le lieu de son travail comme coiffeur, le 14 mars 1973. Il a été libéré le 8 août 1977 sans jugement. D'un calvaire, l'autre. Faute de moyens, Mme Rkia Ahabou a vu son propre enfant mourir devant ses yeux. Epouse de Saïd Boudrik, incarcéré durant les événements de mars 1973, elle a affirmé qu'un de ses fils est décédé car elle n'avait pas suffisamment de ressources pour le soigner des blessures subies sous l'effet des tortures atroces qu'il a subies. « Je parcourais vainement de longues distances dans l'espoir de faire parvenir de la nourriture à mon mari », raconte cette dame très âgée qui ajoute qu'un des gardiens lui intima ironiquement l'ordre : « Tu peux jeter cette nourriture aux volailles en attendant le retour de ton mari, si jamais retour il y aura ». Si Allal Melkaoui a été incarcéré pendant dix ans, c'est « à cause de l'amour que je portais pour mon pays ». Arrêté en 1976 à Tinjdad après la perquisition de son domicile et la saisie de plusieurs livres, Melkaoui a qualifié de « mascarade» sa condamnation pour complot contre le régime et atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat. Conduit à un commissariat de Fès, il y est resté durant quatre mois dans une cellule de 2 m2, un matelas en mousse, un robinet d'eau potable et un trou qui faisait office de toilette, avec d'autres camarades arrêtés avant lui. Transféré à Derb Moulay Cherif, les yeux bandés et les mains liées avec une chaîne, il a été soumis à une surveillance 24/24 avec interdiction de parler avec ses camarades. Melkaoui a également raconté son transfert à la prison centrale de Kénitra après sa condamnation. Dans cette prison, a-t-il dit, il a été frappé avec trois autres détenus par 150 gardiens, et ce devant le directeur de l'établissement. Tazmamart est « le calvaire de tout un village et de ses habitants qui ont été enclavés et assiégés pendant plusieurs décennies ». Cette fois, c'est Brahim Ben Khou, président de l'Association de Tazmamart pour la culture et le développement qui s'exprimait. Son témoignage a porté sur les souffrances des habitants du village de Tazmamarts. Les taxis refusaient de s'y rendre, les femmes enceintes étaient contraintes à souffrir en silence, les malades n'avaient pas droit aux secours et les enfants se sont vus interdire l'école de 1973 à 1977, les constructions sont interdites sur les flancs sud et nord du village, la circulation pendant la nuit était interdite. Chargé d'émotion, le témoignage de Mme Aïcha Ouharfou a, lui, porté sur les conditions de son arrestation à son domicile avec ses frères et sa mère à Goulmima. Mme Ouharfou a été obligée de marquer des pauses au fur et à mesure qu'elle avançait dans sa description. Le psychologue de l'IER a dû intervenir plus d'une fois pour l'aider. Internée et torturée pendant une trentaine de jours à Sounate, à Bouzmou puis à Goulmima, elle a raconté comment sa sœur Fatima a trouvé la mort au centre de détention secret de Agdz. Son père Mouh Oumouha Ouharfou a été condamné par le tribunal de Kénitra et passé par les armes, le 27 août 1974. Mme Ouharfou a égalemnt relaté comment ses tortionnaires a tabassaient et la menaçaient de privation de nourriture, de sommeil et de liquidation physique. Enregistrée dans sa totalité, la séance n'a pas été retransmise en direct. Sous la supervision de l'IER, un montage d'environ une heure et demie des moments les plus forts qui auront marquer cette séance sera diffusé par la suite, précise-t-on de même source.