La problématique du genre incombe à une société patriarcale. La professeure et militante Rabea Naciri vient, une fois encore, de dresser l'état des lieux alarmant de ce sujet si sensible et si pénalisant pour le Maroc. Les enjeux sont importants car le développement du pays en dépend. Les femmes constituant désormais 50% de la population. Le retard pris dans ce domaine aussi prioritaire a fait perdre bien des points au Maroc dans l'Indice du développement. Rectifier le tir est impératif. «Droits et humains et approche genre», le débat sur une thématique sensible et où l'équation est à plusieurs inconnues se justifie à plus d'un titre. L'intervention de Rabea Naciri, professeure universitaire, fondatrice de l'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), membre du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) et ex-membre du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) à l'Université Citoyenne de HEM, a permis de revenir sur ce sujet. Un sujet qui tient à cœur à toute une catégorie qui représente aujourd'hui 50% de la population. La question renvoie à l'organisation sociale qui est cadrée par un système de valeurs objectives dans l'ordre juridique, économique et social. L'experte introduit son discours par cet élément essentiel et universel. «Généralement, les travaux peu rémunérés et sans revenus reviennent aux femmes d'une manière culturelle», explique en effet Pr Naciri. Cet état de fait ne peut qu'influer sur les équilibres des revenus dans un foyer où la femme est la seule pourvoyeuse de fonds, par exemple en cas de perte du conjoint ou de divorce. La précarité dans cette situation guette. Cela dit, la responsabilité ne peut pas être renvoyée à l'homme mais à la culture de toute une société. La militante insistera sur cet aspect. «On dit souvent que c'est la faute des hommes mais c'est plutôt un état patriarcal qui fait que les rôles occupés par ces derniers sont plus importants que ceux impartis aux femmes». Bref, la problématique du genre est importante à prendre en compte dans l'environnement. «La rareté des ressources justifie aussi cette problématique du genre». La question du genre renvoie à de nombreux critères. D'ailleurs, les prendre un à un et les décortiquer reviendrait à établir finalement un début de schéma pour élaborer le projet de société. Un projet de société qui n'existe pas encore malgré les nombreux rappels de la plus haute autorité. Les propos de Rabea Naciri convergent dans ce sens : «Les femmes sont les plus vulnérables à la pauvreté et le Maroc ne peut avancer si on ne prend pas en compte cette problématique». Le dispositif juridique dans le cadre de la Constitution en tient compte. L'article 19 stipule en effet que «l'homme et la femme jouissent à l'égalité des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Royaume et ce dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes». Sur le plan pratique, le chemin pour y arriver est encore sinueux. De multiples exemples le démontrent. La militante des droits de l'Homme citera le cas de ces femmes dans un village du Gharb qui n'ont pas pu être indemnisées lors de la construction de la voie ferrée en raison d'absence de carte d'identité nationale. «C'est un impératif de justice sociale. Les inégalités sont un frein au développement. L'identité renforce le sentiment d'appartenance national pour une meilleure cohésion sociale. Plusieurs niveaux d'éducation se rejoignent fatalement mais les inégalités sont très importantes à tel point qu'il risque de ne plus y avoir de cohésion sociale». La militante des droits de l'Homme ne passera pas par 4 chemins pour dresser le tableau d'une société en mal de sa politique du genre. Les obligations constitutionnelles sont pourtant bien formulées dans la Constitution. Rajouté à l'article 19, l'article 31* vient, en effet, clarifier les obligations politiques. Les obligations conventionnelles et engagements internationaux du Maroc viennent également rappeler l'importance de la question du genre. L'article 1 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme qui interdit expressément la discrimination par le sexe est clair. Le Maroc y adhère sur le papier. Pire, la Convention des droits de la femme n'a été publiée au Bulletin officiel qu'avec le gouvernement Youssoufi, c'est-à-dire 7 ans après que la Convention a été ratifiée ! D'un autre côté, les objectifs de développement durable formulés dans le cadre des Nations Unies sont tous sensibles à l'approche genre. Le programme d'encouragement de la scolarisation des petites filles du rural a été justement mis en place pour intégrer cette donne fondamentale dans l'échiquier économique et social. «La population qui aujourd'hui est représentée à 50% de femmes ne peut pas se développer si l'approche n'est pas prise en compte. Elle permet un meilleur ciblage de la population». La militante ne cessera d'insister sur cet élément crucial. En sa qualité de membre du CSEFRS, l'experte de la question genre rappelle aussi que la mixité sociale de plus en plus rare dans les écoles accentue les inégalités. Les faits sont têtus. Tous les indicateurs liés à cette problématique sont au rouge ! La société marocaine conditionnée par des stéréotypes (préjugés préconçus) ne permet pas le développement de la femme. Et pourtant la nécessité du second revenu dans les foyers marocains pour subvenir aux besoins les plus fondamentaux est réelle. Le pouvoir d'achat ne peut augmenter que de cette manière. Autre indicateur de taille, celui du PNUD qui estime que cette inégalité représente pour le Maroc 44% de perte au niveau de l'indice du développement humain. Ce chiffre parle de lui-même. Rabea Naciri citera des recommandations très basiques pour lutter contre cette inégalité. Elles sont nombreuses et renvoient à des indicateurs très variés. Lutter contre la violence des femmes permettrait par exemple de faciliter l'accès du travail aux femmes vivant dans des quartiers où la criminalité est importante. Prioriser l'éducation des enfants de 3 à 15 ans y compris les filles diminuera le taux d'analphabétisme et rehaussera de ce fait les niveaux d'instruction pour accéder plus tard au travail. L'accès au Ramed pour les femmes a aussi été pointé du doigt par la militante. Mais son «cri du cœur» concernera surtout les femmes qui n'ont pas un niveau d'instruction, qui travaillent et meurent dans l'oubli le plus total. Ce sont tous ces enjeux que revêt la question du genre. L'ignorer dans le projet de société serait suicidaire.