Sollicité pour animer une conférence de Jacques Attali à propos son dernier livre « La confrérie des Eveilles », j'ai hésité dans un premier temps, je l'avoue, à me frotter à ce mastodonte intellectuel. Cependant et très vite, stimulé par une forme de crânerie, j'ai accepté de le lire et de me préparer à cet échange devant une salle que je supputais intuitivement comble. Sollicité pour animer une conférence de Jacques Attali à propos son dernier livre « La confrérie des Eveilles », j'ai hésité dans un premier temps, je l'avoue, à me frotter à ce mastodonte intellectuel. Cependant et très vite, stimulé par une forme de crânerie, j'ai accepté de le lire et de me préparer à cet échange devant une salle que je supputais intuitivement comble. Mon inquiétude fut rapidement dissoute au contact d'Attali. L'intellectuel éclectique, l'écrivain fécond, l'érudit inlassable, le sherpa de Mitterrand, l'homme d'action et d'influence est aussi un être affable et accessible. Parallélisme des formes, la singularité et l'échange, entre lui le Français juif d'origine algérienne et moi le Français musulman d'origine marocaine, va tenir dans ce qui fait sujet du livre: «La confrérie des Eveillés » est un roman. S'y croisent le juif Maïmonide et le musulman Averroès, au XII siècle dans cette Cordoue où «les trois monothéismes ont choisi de se respecter». En fait de roman, il y a plutôt lieu de parler d'un récit historique, d'un dialogue philosophique voire d'un thriller philosophico-historique. Le style romanesque n'est appelé par l'auteur que pour le confort du lecteur ; avec le dessein délibéré de tenir, ce dernier, ingénieusement en haleine. Et l'effet est garanti tellement la chronique est soutenue par un esprit encyclopédique où l'essayiste est scrupuleusement tapi sous le romancier. Le cadre de la fiction est ancien. Le sujet, lui, est d'une actualité brûlante. Ce qui frappe dans «La confrérie des Eveillés», c'est l'intemporalité. A neuf siècles de distance, les questionnements qu'il soulève sont d'une modernité infinie. Car il y s'agit, en ces temps troubles, des rapports entre la Raison et la Foi, entre la chose religieuse et la Pensée philosophique. Et rien ne saurait distinguer un certain Posquière, juif de Narbonne qui, jadis, traitait Cordoue de « Sodome de la pensée» du journaliste fondamentaliste marocain qui aujourd'hui qualifie le Tsunami de «Colère divine». Tous deux sont nourris par le même suc vitriolé du refus, par les mêmes oeillères, par le même obscurantisme. C'est pour cela qu'il faut lire, voire traduire en arabe, le roman d'Attali. Non pas pour contribuer à son succès commercial déjà avéré. C'est plutôt de lui permettre de faire œuvre de salubrité intellectuelle qu'il s'agit. Je le préconise d'autant plus aux Marocains qui n'y trouveront, au-delà de son rythme plaisant, rien de dépaysant. On y parle de Cordoue, de Tolède, de Narbonne certes, mais aussi de Fès, de Marrakech, de Ceuta, d'Ibn Taufayal et Yahya Ibn Yakzane, de la Madrasa Bou Annania, d'Al-Qarawiyyin… Prodigieux périple que celui de ces hommes de discernement armés qu'ils sont de la pensée aristotélicienne. Leur quête «du livre le plus important à avoir jamais été écrit par un être humain» est truffée d'assertions lumineuses, d'échanges profonds et de quelques perles que «seul un bon nageur peut sortir de l'océan» qu'est la raison humaine.