«Les amants de Mogador», le dernier film de Souheil Ben Barka, raconte une romance de haine et d'amour vécue sous le protectorat. Il se caractérise par un excès de pathos et une présence massive d'acteurs français. Il existe deux façons de regarder un film marocain. Soit l'on s'écrie hip, hip, hip ! hourrah ! Encore un film qui dope la production nationale ! Et l'on entre dans la salle le cœur rempli de patriotisme. On bombe fièrement le thorax. Dans nos oreilles bourdonne en sourdine l'hymne national. On regarde le film avec une détermination farouche, résolus à le défendre comme une cause nationale. Après tout, c'est de notre cinéma national qu'il est question et honni soit qui mal y pense. L'autre façon consiste à regarder ce film comme n'importe quel autre. On paye notre ticket pour vivre un moment de cinéma, avec l'espoir de sortir le cœur et la tête remplis du monde du réalisateur et d'encourager d'autres personnes à s'en saisir. À cet égard, il est difficile de dire que le dernier long-métrage de Souheil Ben Barka, « Les Amants de Mogador », ne communique pas de l'émotion. Il en communique même trop. Il est entièrement construit pour émouvoir. Son trop plein d'émotion se confond souvent avec un excès de pathos servi par des scènes au ralenti chères au réalisateur. Et justement ce pathos sonne faux à l'image du baiser échangé entre les deux protagonistes où les lèvres de l'actrice font une moue – une vraie grimace – au lieu de l'embrassade passionnée. Les événements de ce film se passent en 1936. Hélène, rôle interprété par Vioolante Placido, est la fille adulée du juge Lenhart, un humaniste qui n'a pas les préjugés des coloniaux contre les «indigènes». Un commandant de garnison Albert Forjat la demande en mariage. Mais Hélène refuse de se donner à lui, parce qu'elle est tombée amoureuse d'un Marocain : Belkacem. Ce rôle est joué par Mahmoud Mahmoudi, le seul interprète marocain qui tient un rôle principal dans ce film. Les autres comédiens marocains tiennent des rôles secondaires ou font de la figuration. Belkacem, un nationaliste qui aide les résistants, séduit Hélène par la poésie. La progression de cette relation n'est pas convaincante. De la résistance aux assiduités du Marocain, la Française en vient subitement à l'amour. Sans que le film ne nous dispense les menus détails du cheminement d'une passion qui constituent, comme l'on sait, le véritable sel des relations amoureuses. L'absence de cette progression dans les sentiments rend sinon invraisemblable, du moins très peu entraînante une relation dont on décide subitement qu'elle sera placée sous le signe de l'amour. La première moitié du film est au demeurant statique. L'on y palabre trop sans que la teneur de la conversation ne dynamise les scènes du film. Il faut attendre la décision d'Hélène de se marier avec Belkacem pour que le rythme du film s'accélère un peu. À signaler une scène magistralement interprétée par la mère d'Hélène : Marie-Christine Barrault. Elle essaie en effet de la dissuader de s'engager avec un « indigène». Une véritable leçon d'acting. Belkacem entraîne sa femme vers Zagora. Elle supporte les piques des insectes et du soleil pour rester avec lui. Le commandant Forjat dont elle a repoussé les avances est nommé coordinateur général des troupes massées dans le Sud. Il est implacable envers les résistants et a une rancune tenace contre le Marocain. Il soudoie des pillards qui interceptent sa caravane. Belkacem échappe miraculeusement à leur guet-apens en trouvant refuge dans une caserne de légionnaires. Il devient, malgré lui, légionnaire. Une amitié naît, on ne sait comment, entre lui et un légionnaire italien. Dans la dernière scène du film, il retrouve sa femme devenue infirmière à la Croix-Rouge. Cette dernière s'interpose avec son corps pour empêcher une balle d'atteindre son mari. Le ralenti de la scène accentue l'extrême courage de son acte. Tels sont en gros les péripéties de ce film tourné certainement pour plaire aux officiers nostalgiques d'une certaine période dans l'Histoire du Maroc. Pour un film qui se veut une romance d'amour et de haine, la musique n'était pas au rendez-vous. Elle ne sert pas les desseins d'un film qui veut exciter une émotion intense chez le spectateur. Ce dernier est seul juge de la pertinence de l'excès de pathos dans un film. Quant à la première manière d'assister à un film marocain, l'on ne peut même pas dire que «Les amants de Mogador» exalte notre sentiment national. Avec sa pléiade d'acteurs français, s'agit-il vraiment d'un film marocain ?