Les plans ORSEC, SINON et le plan Rouge sont là pour être mis en place par la protection civile lors des catastrophes. Mais dispose-t-elle des moyens matériels et humains pour les exécuter ? Nous ne sommes pas en dictature, Dieu merci. Promenons-nous sur le voisinage ou zappons sur les chaînes de télé de nos frères du tiers-monde et nous verrons que politiquement, l'air est bien plus respirable par chez nous. Mais il serait exagéré de dire que nous avons réalisé la démocratie. Sommes-nous alors en transition vers la démocratie ? Il faut non seulement le souhaiter, mais surtout le vouloir. Car ce n'est jamais gagné d'avance. Et sur la pente du changement, l'histoire enseigne que la régression vers les formes primitives de l'autoritarisme est une descente où les sociétés humaines s'engouffrent plus facilement que la progression vers la liberté instituée qui, elle, est une ascension qui se paie de clarté, de responsabilité, de sueur et de volonté. La démocratie exige, entre autres conditions de fond, l'existence d'acteurs légitimes et qui rendent des comptes. Des partis, bien-sûr, qui d'origine représentent et relaient les demandes de la société. Chez nous, c'est vrai qu'ils sont bien malades, souvent réduits à des zaouia faisant office de bureaux de placements et ne s'exprimant pratiquement plus que par leur presse, de moins le mérite d'exister ? Les critiques sont salutaires, pour eux et pour la démocratie. Mais à qui, à quoi peut profiter de les dénigrer systématiquement ? Elle exige aussi des institutions organisées par une référence constitutionnelle cohérente et solide. C'est vrai que notre édifice institutionnel est loin d'être parfait. C'est une construction sédimentaire qui résulte d'un demi siècle d'expérimentation, naturellement dictées par les ajustements aux circonstances, aux risques et aux compromis de chaque moment. C'est vrai que les assemblées politiques locales, régionales, nationales, et les chambres professionnelles sont souvent surdéterminées par les clientèles et les intérêts particuliers au point de ne pas ou alors très mal accomplir leurs finalités propres. C'est aussi que nos établissements publics sont confiés, souvent sans critère objectif, à des individus en raison de leur docile allégeance à des réseaux influents. Et c'est vrai qu'il en résulte une perte généralisée de crédibilité et d'efficacité de tout l'appareil d'état. Mais qui pense à construire une alternative responsable ? Les critiques les plus féroces de ce système se taisent dés qu'un poste leur est proposé et s'ils y vautrent avec d'avantage encore de ridicule et de dégâts que leurs prédécesseurs. Doit-on pour autant désespérer ? Les Institutions publiques marocaines ont moins de cinquante ans et se doivent de piloter une société vieille de mille trois cents ans ! dans la tête de chacun de ceux qui ont en charge la chose publique, il y a souvent un petit pacha, un petit caïd, un petit mokhazni, un petit cheikh de tribu, un petit serviteur doublé d'un petit tyran qui sommeille. On ne gomme pas un héritage culturel millénaire en quelques décennies. Surtout si on ne construit rien de cohérent à la place. Et c'est là l'immense poids sur les épaules de ceux qui ont en charge aujourd'hui notre système d'éducation et de formation car c'est d'eux, d'abord, que dépendent les institutions, l'administration, l'économie et la société de demain. Le rôle de l'opinion publique, c'est une évidence de le dire, est lui aussi fondamental à toute démocratie. Mais lorsque la capacité de la société de s'organiser et d'agir est entravée par les difficultés qui pèsent sur les partis, et que l'efficience des institutions et des services publics a du mal à être visible et crédible, la rupture entre les demandes de la société civile et l'action de la société politique risque de transformer les citoyens en badauds vis-à-vis de la chose publique. C'est dans ce contexte que prend tout son relief le rôle de la presse. Dans le cercle vertueux d'une démocratie où chacun joue, assume ses responsabilités, entre la société, les partis et les institutions, les journaux ont un rôle de médiateur irremplaçable en ce sens qu'ils informent chacun et contribuent au contrôle mutuel de tous les acteurs. Mais lorsque ce cercle est fragile, ou que certains stratèges veulent le briser, alors la scène publique n'est plus qu'une rixe permanente, une sorte de mêlée où des sectes partisanes et des réseaux de clientèles s'offrent au voyeurisme de badauds amusés et médusés. Notre histoire a déjà connu des cas de ce type. Dans ce cercle-là, il se développe un vrai marché où prospèrent le colportage des ragots, la presse de caniveau, ainsi que la jubilation scatologique et infantile qui consiste, en toute impunité, à tout écrire et son contraire, et à confondre la critique et l'irrévérence dans l'attaque de tout ce que la société et l'Etat peuvent compter de symboles, les uns sur leurs âges, les autres sur leur religion, etc. Au début du 20ème siècle, Bou Hmara, un individu surgi de rien, devint en quelques mois un opposant du Sultan que les appuis matériels et la propagande étrangère ont érigé en héros de l'heure. Une fois sa fonction de pression exécutée, il fut lâché par ses sponsors. Et a fini dans une cage aux lions ! Ce climat est la conséquence directe et inévitable des conditions de la transition que nous traversons. Mais rappelons-le, transition n'est pas obligatoirement synonyme de progrès. Ce climat profite d'abord aux conservateurs de tout poil qui veulent que ne rien ne change parce qu'il y va de leurs intérêts. Et il profite aux plus extrémistes d'entre eux, trop heureux de pouvoir répéter que les Marocains ne mériteraient pas la liberté, que celle-ci conduit à l'anarchie et que ne rien vaut donc tour de vis dans le sens de la tyrannie. Et les perdants, ce sont bien sûr les pauvres hères, les humbles, les sans-réseaux, les sans-protection, dignes qui croient au sens du mot partie et qui se battent au quotidien pour le pain et pour l'avenir de leur enfants. Ce sont ces ringards qui paient toujours et partout le prix de la tyrannie parce qu'ils ne font pas commerce de leur liberté. Mais ils sont l'honneur et la grandeur de leurs pays. Car chaque fois que l'essentiel est en cause, ils sont au rendez-vous de l'histoire. • Fadel Benhalima (consultant)