Procureur du Roi, conseiller du ministre de la Justice, M'hamed Abdennabaoui est l'auteur de l'ouvrage "La responsabilité civile des médecins du secteur privé". Entretien. ALM : En droit, l'acte médical a-t-il une quelconque spécificité? M'hamed Abdennabaoui : Effectivement, le contrat médical est différent de tous les autres contrats. D'abord, la relation entre les parties, c'est-à-dire le médecin et le patient, est très complexe. Il y a une inégalité entre les deux. Le premier est en position de force, alors que le malade se trouve dans une posture plus faible, car il est dans le besoin. Par ailleurs, l'objet du contrat médical est exceptionnel. Il s'agit de la vie et du corps de la personne. D'ailleurs, l'acte de mariage et le contrat médical sont les seuls contrats qui ont pour objet le corps humain. Ce dernier étant, en droit, sacré et inviolable. Justement, comment la législation marocaine traite-t-elle les préjudices que subissent les malades dans le cadre de ce contrat médical? Il faut, tout d'abord, distinguer entre l'erreur médicale et la faute médicale. Le comportement d'un médecin qui engendre un préjudice pour le malade est considéré comme une erreur médicale quand celle-ci peut inéluctablement être commise par un autre médecin de même niveau et dans les mêmes conditions extérieures. En fait, l'acte médical n'est pas une science exacte. Les médecins ont une obligation de moyens et non de résultats. En d'autres termes, le médecin doit agir "en bon père de famille", pour reprendre la fameuse expression juridique. Qu'elle est donc la différence entre erreur et faute médicale? Justement, la faute médicale sous-entend que le médecin a entraîné un préjudice pour son patient, en violation des us de la profession. Le juge s'assure qu'un médecin moyen, placé dans les mêmes conditions extérieures, n'aurait pas commis cette faute. On ne le compare jamais avec un éminent chirurgien ou un professeur de renom. Mais on prend en considération les moyens techniques dont il disposait, l'état du malade, l'urgence, etc. En résumé, dans la faute médicale, il y a trois éléments à prendre en considération. La faute elle-même, l'existence d'un préjudice pour le patient et le lien de causalité entre les deux. Qu'en est-il des sanctions? Je tiens à préciser que l'erreur médicale n'engendre aucune sanction. Ce n'est pas le cas de la faute médicale. A ce titre, le médecin engage une triple responsabilité. Tout d'abord, il fait l'objet de sanctions disciplinaires. C'est le Conseil de l'Ordre régional, ou national, qui décide de la peine à lui infliger en conformité avec le code déontologique qui date de 1953 et du Dahir de 1994 qui régit la profession. Cela va de l'avertissement à l'interdiction d'exercice, en passant par le blâme ou la suspension temporaire. Le médecin qui commet une faute engage également sa responsabilité pénale. Mais dans ce registre, je tiens à rappeler l'adage qui dit "Pas de crime sans texte". En fait, nous n'avons pas de loi spécifique aux sanctions pénales pour les médecins. On s'appuie donc sur la loi générale. C'est ainsi qu'on applique les articles 432 et 433 du code pénal qui prévoit une peine de trois moi à cinq ans, si la faute a engendré la mort. Et une peine d'un mois à deux ans, si cette faute donne lieu à une blessure. En plus de cela, le médecin peut être poursuivi, entre autres, pour violation du secret médical ou de non-assistance à personne en danger. Il y a enfin une responsabilité civile. Dans ce cas, la justice peut condamner le médecin à verser à la victime ou à ses ayants-droits, des dommages-intérêts. Ces sanctions sont-elles, selon vous, suffisantes? Sachez que la doctrine internationale est divisée en deux courants. Le premier veut le renforcement des sanctions. Et le deuxième milite pour la levée de la responsabilité du médecin. En d'autres termes, ce dernier doit être capable d'exercer sans aucune contrainte ni risque. Les adeptes de ce courant rappellent la société babylonienne qui avait instauré des sanctions tellement sévères à l'encontre des médecins, que ces derniers ont fini par disparaître. Je pense que la justice doit faire attention aux dérives matérialistes de la médecine. L'argent et la médecine sont, à mon avis, inconciliables.