L'humoriste Hassan El Fad nous raconte comment il a provoqué le rire, pendant une journée de Ramadan, dans un lieu où le rire est pourtant banni. Je m'en veux encore d'avoir provoqué le rire dans un lieu qui ne s'y prête pas. Je m'en veux d'autant plus qu'un rire de si bon cœur, franc et spontané, impérieux et irrépressible, je n'ai pas le souvenir d'avoir réussi à l'arracher lors d'une prestation sur scène. Cela s'est passé pendant la prière du vendredi. Au moment de l'appel à la prière, les gens ont commencé à s'aligner, à serrer les rangs. Il faut meubler le vide. Je me suis retourné contre un monsieur qui, visiblement tout entier à son recueillement, n'a pas prêté attention au fait qu'il m'écrasait le pied. Il a relevé la tête, m'a vu, a marqué un instant d'étonnement, et puis il a éclaté de rire. Un rire à gorge déployée, tonitruant, en cascade, qui résonnait comme la voix du diable dans l'enceinte de la mosquée. Tout le monde s'est retourné pour mitrailler du regard l'indécent rieur. Mais notre homme ne semblait pas se préoccuper de l'impudeur de son rire de fou. Quant à moi, je ne savais plus quel saint invoquer. J'avais l'air hagard, un peu perdu. J'ai été pris de court par ce franc rieur. L'imam a commencé pourtant à réciter les litanies sans que cela n'empêche notre homme de se dilater la rate. Vous savez, quand on est complice d'une faute que l'on n'a pas cherché à provoquer, on la dénonce avec plus de virulence que tous les autres. J'ai donc proféré à l'adresse du malheureux rieur cette phrase que l'on répète avant de lire le Coran pour éloigner Satan. Je me suis mis ainsi à l'abri du mal, et ai essayé de me composer la mine d'une personne à la fois indignée et surprise par autant d'insolence. Mais notre homme riait toujours aux larmes. Il essayait pourtant de se retenir. On sentait ses efforts pour étouffer son rire. Mais chaque fois qu'il le contenait, la vague des rires retenus devenait trop forte et brisait les écluses du pauvre homme qui pouffait de plus belle. Ce n'était plus tenable, et les protestations des prieurs prenaient une allure franchement menaçante. Tout en se tenant les côtes, notre homme s'est retiré, laissant derrière lui des traces de plus en plus lointaines de son méfait. Quant à moi, je n'ai jamais compris ce qui s'est réellement passé. Allez savoir ce que ma présence dans une mosquée a dû suggérer à cet homme ! Mais ce qui est sûr, c'est que je m'en veux encore d'avoir gâché, bien malgré moi, sa prière à un musulman.