Ils sont une dizaine de jeunes voués à une oisiveté morbide, et qui s'occupent en misant leur petit pécule dans des jeux de cartes et de billard. Samedi, novembre, 19h00, Rabat. Les rues du quartier El Manzah de la capitale économique du pays sont encore désertes, un silence religieux règne sur les lieux. Mais au fur et à mesure que l'on s'approche du café O..., situé au Rond-point la Marche verte, un brouhaha de plus en plus perceptible se fait sentir. Les premiers clients sont déjà attablés sur la terrasse. Les rasades, accompagnées des premières taffes de la journée, sont entrecoupées par la vue des passants, encore rares. Mais d'ores et déjà, on sent que quelque chose se prépare. Après 19h30, les jeux de cartes ornent désormais chaque table. Les habitués du coin commencent à défiler, passent leurs commandes et attendent que d'autres les rejoignent. Le match du Wydad contre l'Asante Kotoko du Ghana, projeté sur un écran de télévision accroché à un mur, n'attire que trop peu l'attention. Bizarre. «On vient ici pour jouer, et non pas pour regarder d'autres le faire, aussi décisive que puisse être leur rencontre», explique un client, l'air impatient. Il est maintenant 20h30, le café est plein à craquer, la fumée est asphyxiante, le bruit assourdissant. Un coin où une lumière tamisée est projetée sur une table de billard fait exception. Endroit plutôt calme au cours de l'année, O…se métamorphose en un carrefour qui réunit tous les amateurs de jeux. Attablés par quatre, les clients se chamaillent, se critiquent. Certains poussent des cris de joie, d'autres donnent des coups de poing enragés sur la table. La mise est de 25 DH. Le lot à gagner pour chaque partie de Rami est de 100 DH. Les jeux se poursuivent, la fumée, pas uniquement celle de tabac, se fait plus dense. Dans le coin, une sorte de tournoi de billard est organisé. Ils sont sept à avoir misé 50 dirhams. Seul un vainqueur amassera en fin de partie la belle somme de 350 DH. La terrasse, quant à elle, est réservée exclusivement aux amateurs de la «Aïta», qui se trouvent être également des inconditionnels de haschich, produit de substitution par excellence pendant ce mois où les boissons alcoolisées sont interdites et plus que jamais contraires à la loi musulmane. Le jeu consiste en la sélection, au hasard, d'une carte parmi le set de cartes espagnoles. Le jeu est plutôt rapide. La mise ne dépasse guère les 5Dh. Mais il donne lieu à plus de tricherie que les autres «catégories» et, par là, plus de disputes. Certains, non contents de leur sort, en viennent même aux mains. Généralement, les gagnants, de véritables pros en la matière sont connus d'avance. Et ceux qui s'y frottent s'y piquent en y laissant, mine de rien, des sommes qui feraient le bonheur de plus d'un en ces temps difficiles. La soirée continue au milieu d'une musique étouffée par le bruit ambiant et une chaleur qui tranche avec le froid de l'extérieur. Et il en va ainsi durant toutes les soirées de ramadan. À défaut d'une activité plus saine qui saurait occuper cette dizaine de jeunes, condamnés de toute façon à miser toute leur vie dans un grand jeu de hasard, le plus incertain de tous, appelé l'avenir.