L'engouement pour les jeux de hasard est devenu grandissant que la Marocaine des Jeux et des Sports est devenue une affaire florissante. Quel chiffre d'affaires pour quelle mission ? où va l'argent des jeux ? Qui en tire profit ? Autant de questions qui méritent d'être posées. Enquête. Un gagnant de Marrakech qui touchera 500 DH pendant dix ans. Un autre, à Ouarzazate cette fois-ci, qui a remporté 150 000 DH. Au Maroc, ils sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance pour empocher la cagnotte ou le jackpot. Depuis que la Marocaine des jeux et des Sports a opté, dans sa nouvelle stratégie, pour la proximité et le jeu en temps réel. Avec plus de 2.199 points de vente, tous équipés de terminaux reliés au centre de traitement GETECH, connu sous le nom d'OTT (On line Transaction Technologies), à travers le Royaume et une panoplie de produits à gratter (Double, Trésor, Cinco, Cash, Bravo, Dominos, Fooz, Pyramid'or…), et le Totofoot, la Marocaine des Jeux et des Sports est devenue une véritable pompe à fric. Certes, il est difficile de connaître les bénéfices réels de l'entreprise, mais une chose est sûre : le produit d'exploitation au titre de l'exercice 2002, et ce sont des chiffres rendus publics par la Marocaine des Jeux et des Sports, a atteint 274 millions de DH, contre 122 en 2000 et moins de 40 en 1995. Raison de cette montée en flèche fulgurante: les ventes des loteries instantanées qui, en 2002, se sont élevées à 148 millions de DH. «Dans la semaine, le chiffre d'affaires oscille entre 1.000 et 1.500 DH. En week-end, ça peut aller jusqu'à 6.500 DH», a confié un responsable d'un point de vente à Casablanca, sous couvert de l'anonymat. La clientèle se recrute parmi toutes les catégories socio-professionnelles. «Nous avons de tout, salariés, fonctionnaires, cadres… », a fait savoir notre interlocuteur. Chacun mise selon sa bourse. «Ça va de 5 à 30 DH et ça peut aller jusqu'à 70 DH», ajoute-t-il. Pour d'autres parieurs, le jeu de hasard est une partie de plaisir. «Il y en a certains qui gagnent 500 DH et qui la rejouent sur le champ», a fait remarquer une gérante d'un magasin. Mais où va tout cet argent ? Société anonyme au capital de 500 000 DH, détenu à hauteur de 90 % par le trésor et 10 % par la CDG, la Marocaine des Jeux et des Sports, créée en 1962, est placée sous la tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports. Depuis que ce portefeuille n'existe plus, ou depuis que le sport n'est plus une priorité pour le gouvernement, la Marocaine des Jeux et des Sports est gérée par le secrétariat général du secteur des sports. Son conseil d'administration est constitué d'administrateurs représentants l'Etat, le ministère des Finances, la CDG, la loterie nationale, la FRMF et le fameux CNOM, alors que la présidence est assurée par le ministère de la Jeunesse et des Sports ou son représentant. Ce dernier a su tailler sa part du gâteau en créant en 1987 ce qu'on appelle «Fonds national du Développement du Sport», dont il est l'ordonnateur. Il faut dire que le ministre de l'époque, Abdellatif Semlali, fervent défenseur de la cause sportive, a su vendre son projet. C'était sous l'ère du gouvernement Karim El Amrani. Un fonds, qui, depuis, est subventionné par la Marocaine des Jeux et des Sports. «On verse la totalité du produit net au FNDS. Entre 1995 et 2002, nous avons débloqué plus de 200 millions de DH », avait confié Fadel Idrissi, administrateur délégué, chargé d'assurer la direction générale, fonction qu'il assume depuis des années. Soumise régulièrement au contrôle du commissariat aux comptes et à celui des organes étatiques, la Marocaine des Jeux et des Sports se veut une entreprise transparente, comme n'arrête pas de le clamer M.Idrissi, visiblement fier d'être le directeur général du plus grand pourvoyeur en matière de financement du sport national. Rigueur et transparence sont deux mots qui reviennent souvent comme un leitmotiv sur les lèvres de cet homme trop discret. Le succès des jeux de hasard est tellement grandissant qu'une certaine boulimie s'est installée chez les investisseurs. C'était au début des années 90. On parlait à l'époque d'un projet de privatisation. Projet avorté pour des raisons, que l'on disait d'ordre juridique. «C'est un projet qui a été combattu avec rigueur pour la simple raison que cela allait ouvrir la porte à toutes les dérives», avait expliqué M. Idrissi. En avançant un tel argument, le patron de l'industrie marocaine des jeux fait certainement allusion, entre autres, au blanchiment d'argent. Tentative isolée qui n'a pas abouti. Car les responsables de la MJS savaient pertinemment que le marché des jeux de hasard était juteux. Pourquoi privatiser une affaire qui rapporte du cash, beaucoup de cash tous les jours ? Investissant dans tout ce qui est technologie, marketing, communication et publicité, la MJS est réputée fidèle à son engagement vis-à-vis du développement du sport, pour ne pas dire aux responsables du sport national. Dernièrement, la MJS a organisé la troisième édition de «la Nuit des Etoiles », soirée gala au cours de laquelle équipes, joueurs, arbitres… ont été primés. Pour donner une dimension festive à cet événement, la MJS avait invité l'un des ténors de 1,2 3 soleil, Faudel. Décevant ce soir-là, mais bien payé. Certainement mieux que la meilleure attaque de la deuxième division, l'équipe de Touarga, ou encore le goleador de notre football d'élite, Bidodane. Désignés meilleurs arbitres, Abderrahim El Arjoune et Mohamed Guezzaz ont reçu chacun 7.500 DH comme prime. Une misère quand on sait que la star de la télé-réalité sportive «Pied en or», Hamada Abdelmoutaâl, s'est vue octroyer une prime de 10.000 DH. De quoi se demander sur quels critères s'est basée la MJS. Elle qui, à en croire son directeur général, a revu, cette année, à la baisse son budget de communication pour augmenter la valeur et le nombre des prix. Dans son nouveau plan d'action, l'entreprise envisage de porter son apport au FNDS, qui était de 20 millions de DH en 2000 puis 54,8 millions en 2002, à 100 millions de DH à l'horizon 2008. C'est dire la bonne santé de la Marocaine des Jeux et des Sports. Une bonne santé qui a, souvent, fait d'elle une «vache à lait» et qui contraste malheureusement avec l'état du sport national.