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Éditorial : Pardon
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 24 - 12 - 2004

Ce que notre pays est en train d'entreprendre pour solder les sinistres années de plomb force l'estime et le respect. L'opinion publique, dans sa globalité, ne s'y est pas trompée. Elle sait reconnaître avec une grande sagesse ce qui est cosmétique, donc factice, et qui relève généralement de la démagogie ou de la simple technique de communication, et ce qui est essentiel ou fondamental, comme ces moments de vérité que nous vivons.
Ce que notre pays est en train d'entreprendre pour solder les sinistres années de plomb force l'estime et le respect. L'opinion publique, dans sa globalité, ne s'y est pas trompée. Elle sait reconnaître avec une grande sagesse ce qui est cosmétique, donc factice, et qui relève généralement de la démagogie ou de la simple technique de communication, et ce qui est essentiel ou fondamental, comme ces moments de vérité que nous vivons.
Ce n'était pas gagné d'avance. Il n'y avait pas d'espace, ou peu, entre ceux qui pensaient, souvent de bonne foi, que le Souverain prenait un risque inconsidéré en ouvrant la boîte de Pandore et ceux qui considéraient que cette page de notre Histoire ne peut être tournée que par une forme, parfois primaire, de justice totale, revancharde et éradicatrice.
Il est notable que l'on ne remue pas la mémoire et la douleur impunément. Le risque de retour violent de ce qui a été souvent refoulé dans la haine et le ressentiment est patent. La thérapie, dans ce cas, est pire que le mal et les processus enclenchés peuvent être sans fin ou n'avoir que la limite de, justement, ce qui n'a pas, par essence, de limites. Il est, aussi, vrai que ce type d'exercice, que des pays comme l'Espagne ont soigneusement évité, peut aboutir, auprès de citoyens survoltés par la transition démocratique, à un discrédit total de l'Etat et des institutions qui l'incarnent. Après cela, plus rien ne peut être construit. C'est la fin de l'Etat et le début d'un état d'instabilité permanent sur lequel on ne peut bâtir qu'un nouveau totalitarisme brun, rouge ou vert, bref aux couleurs de la haine de soi et de l'extrémisme rédempteur et criminel.
La tentation de brûler sur la place publique les tortionnaires et leurs donneurs d'ordres pourrait également être comprise, si le nihilisme pouvait être un projet politique pour l'avenir. Elle pourrait également être comprise, si la culture marocaine y compris dans sa dimension religieuse était fondée, structurellement, sur des valeurs comme la vengeance, la haine, le châtiment ou la damnation. Nous serions alors dans une forme de parallélisme dans la barbarie qui nous exclurait pour une longue période de toute prétention à la civilisation moderne quand celle-ci est humaine et soucieuse de la vraie vie. Les exigences de la vérité ne reposent pas sur la vengeance, elles reposent sur le savoir. Or, aujourd'hui, nous savons. Nous savons que notre pays, qui est aussi capable du meilleur, peut enfanter la barbarie, l'horreur, l'abjection et la négation de la dignité des hommes, et organiser tout cela en système. Nous savons, aujourd'hui, tout cela de la bouche même des victimes à travers des paroles meurtries et des regards profondément blessés. Nous en sommes tous, autant que nous sommes, extrêmement affectés.
Mais le processus par lequel nous sommes arrivés à cette intime vérité est le nôtre. Il nous appartient. Il est endogène. C'est un choix volontaire librement et courageusement assumé par le Chef de l'Etat, SM le Roi Mohammed VI, alors que cette page de notre Histoire commune concerne, avec toutes les charges émotionnelles imaginables, le règne auquel il a succédé.
SM le Roi Mohammed VI a fait un pari sur l'avenir, sur l'intelligence et sur le génie des Marocains. Il est en train de le gagner. Cela peut être pour lui un motif de fierté légitime. Et pour nous, une raison supplémentaire de croire en lui. Recevant le Prix Nobel, à Stockholm, Albert Camus a dit une phrase célèbre qui a été l'objet de toutes les interprétations : «Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.» L'on voit bien que Camus défend avec les valeurs de justice d'autres valeurs auxquelles la justice peut, parfois, dans un dilemme extrême, porter atteinte. SM le Roi Mohammed VI, lui, a choisi la justice.


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