Le peintre Abdelkrim Al Azhar expose ses œuvres à Casablanca. On peut les voir jusqu'au 11 décembre à la galerie d'art 9 de Saïd Tlemçani. Les tableaux les plus représentatifs de ce peintre proposent une énigme. Pour en deviner le sens, il faut considérer les chiffres comme des personnages. «Signe ce que tu approuves», écrit le poète Paul Eluard. Cette injonction n'a rien à voir avec le plagiat. Elle a partie liée avec une communauté de goûts et de vues entre quelques hommes. Elle suppose une idéale société secrète, une alliance intime à quelques-uns, en parfaite communion de vues, de vie et de travail. C'est incontestablement de cet esprit que participent certains tableaux de Abdelkrim Al Azhar. Ce peintre ne cache pas sa prédilection pour le faire de certains artistes. Il reprend spontanément les thèmes de ceux dont il fait grand cas. Ses masques et portraits ressemblent à ceux du peintre Habouli. Les coupoles surplombant les rayonnages des livres peints dans ses tableaux évoquent les marabouts de Fouad Bellamine. Certaines séries de livres semblent être sorties de la main du peintre Mostafa Boujemaoui. Il s'agit moins d'une naïveté souveraine que d'affinités électives marquées à l'égard d'un petit groupe d'artistes. L'intéressé peut se le permettre aisément, d'autant plus que nombre de ses tableaux portent sa marque distinctive. Les plus intéressants sont ceux qui se caractérisent par de petits carrés avec une multitude de symboles, de chiffres et de flèches. Ils ressemblent à des énigmes dont seul l'artiste semble détenir le secret. Interrogé sur la symbolique de ces chiffres, le peintre répond sans hésitation : «n'avez-vous jamais remarqué que la vie d'un homme se réduit de plus en plus à une somme de chiffres?» Sa date de naissance, le numéro de sa carte d'identité, le numéro de son compte bancaire, de son portable… L'immatriculation est en passe de tuer les lettres. L'on s'achemine peut-être vers une société où quelques chiffres se substitueront aux noms de personnes. Peut-être que l'ère de Big Brother est imminente. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est que «le chiffre est un personnage», selon les propos catégoriques du peintre. Le spectateur sera attentif dans ce sens à un tableau vertical segmenté en plusieurs compartiments. On dirait des appartements à l'intérieur desquels logent des silhouettes, des pendules, des losanges, des globes oculaires et bien sûr des chiffres. Aucune œuvre du peintre ne porte de titre. Il s'y refuse, parce qu'il estime que le titre oriente la lecture du spectateur. «Je veux le laisser libre de son interprétation. Il peut donner le sens qu'il veut à mes tableaux» dit-il. Du reste, les tableaux de Abdelkrim Al Azhar ne s'identifient pas seulement par les symboles peints et les flèches qui orientent le regard à l'intérieur de l'œuvre. Comme pour dire que le sens de l'énigme est ici et là - dans l'œuvre - et non pas à l'extérieur. Ses tableaux sont en effet si transparents, si légers, qu'ils semblent faire un pied de nez à la peinture sérieuse, celle qui naît seulement par le truchement de médiums comme la peinture à l'huile et l'acrylique. Ils doivent cette transparence à la technique de l'aquarelle et du lavis. Les encres font des taches marines dans plusieurs endroits du tableau. Il est difficile de regarder ces tableaux sans penser aux dessins d'enfants. Il est également difficile de regarder les carrés juxtaposés et superposés les uns aux autres sans penser à une bande dessinée. S'il le voulait, Abdelkrim Al Azhar ferait un excellent auteur de B.D. L'influence de ce genre sur ses tableaux n'est peut-être pas à écarter. Car ce peintre a été formé dans deux Académies de Beaux-Arts, établies dans un pays d'où sont issus plusieurs maîtres de la bande dessinée : la Belgique. De 1979 à 1982, il a perfectionné son apprentissage aux Académies de Bruxelles et de Liège. Ce natif de la ville d'Azzemour en 1954 avait fait auparavant l'Ecole des Beaux-Arts de Tétouan. Il s'est spécialisé dans la gravure. D'où la prédominance du noir dans les œuvres qui ont marqué son entrée dans le milieu de la peinture. On l'appelait alors le peinture du noir. Aujourd'hui qu'il est revenu à la couleur, le faussement enfantin Abdelkrim Al Azhar signe une œuvre qui tient à la fois de l'estampe et de la peinture. Une œuvre dont les dernières étapes sont si limpides, si transparentes qu'elle semble revêtue de nacre.