Les premières semaines censées être «sans» sacs en plastique sont passées. Pourtant, la «Mika» est toujours présente chez quelques commerçants. La loi relative à la suppression des sacs en plastique, première de son genre, séduit par son adhésion aux critères écologiques. Elle attise toutefois la grogne de plusieurs personnes quant à ses répercussions socio-économiques. Comment se passe la transition ? A Casablanca, ALM est allée à la rencontre de différents commerçants à Derb Omar et à Benjdia pour savoir comment ils vivent cette mutation. Pas de changement sans conséquences Pour beaucoup de commerçants à Derb Omar à Casablanca, le 1er juillet fut une date révolutionnaire, marquée par l'apparition de nouveaux produits sur le marché. Des sacs en carton, des boîtes en plastique, de vieux journaux et quelques sacs en tissu industriel, occupent actuellement les étagères. Ces magasins, réservés dans le passé à la vente de la fameuse «Mika», se sont rapidement adaptés au changement. Cela dit, la décision de la suppression des sacs en plastique semble avoir du mal à passer auprès de l'esprit collectif. En effet, s'il y a une phrase que l'on ne cesse d'entendre c'est «Mika ne pourra jamais être remplacée !». Pour la plupart toutefois, ce sont les sanctions prévues dans les textes qui les obligent à se reconvertir. Même son de cloche chez le consommateur. Celui-ci n'a vraisemblablement toujours pas acquis les réflexes censés accompagner une vie sans la fameuse «mika». Par ailleurs, cette démarche environnementale entreprise par le gouvernement est pour la plupart des consommateurs louable du moment qu'elle n'a pas de répercussions économiques sur leur quotidien. Chose qui n'est pas vraiment inévitable. Depuis le 1er juillet, les tarifs de plusieurs produits et services ont été augmentés afin de suivre les nouvelles solutions. Et c'est le consommateur, au bout de la chaîne, qui en paie principalement le prix. Des alternatives plus coûteuses Plusieurs facteurs font qu'aujourd'hui, les prix d'un bon nombre de consommables ont été revus à la hausse. «Avant ce 1er juillet, je vendais le quart de poulet avec garniture comprise à 23 DH. Aujourd'hui, je suis dans la contrainte de le vendre à 26 DH», confie Omar, propriétaire d'un snack à Benjdia, avant d'ajouter : «Les 3 DH supplémentaires sont facturés pour amortir les nouvelles charges d'emballage ; les boîtes en plastique pour la garniture et le sac en carton pour emporter le tout». D'autres points de vente se sont résignés à laisser le client se débrouiller. «Moi, j'ai la marchandise. C'est au client de penser où mettre ses courses. De toute façon, il n'acceptera pas que je lui fasse payer l'emballage», ajoute un autre commerçant. Quant aux petits commerçants, pour la plupart des vendeurs ambulants, les choses ne se présentent pas aussi facilement qu'ils l'imaginaient. «Supprimer les sacs en plastique ? D'accord, mais nous manquons toujours de moyens pour les alternatives qu'on nous présente», dénoncent en chœur certains d'entre eux. Ces derniers restent convaincus que la «mika» va finir par faire son come-back, en dépit des causes environnementales. Il s'agirait, selon eux, d'une sorte de démarche économique, qui ne répond pas forcément aux exigences de toutes les catégories sociales. «J'ai acheté ce sac en carton-papier à 80 centimes la pièce. Pour une centaine je paie pratiquement 80 DH», nous confie Mohamed, vendeur ambulant de fruits à Benjdia. Et de poursuivre : «Avant, j'achetais 1 kg de sacs en plastique à moins de 40 DH, j'en avais pour au moins 150 pièces». Vu sous cet angle, acheter des sacs en carton reviendrait deux fois plus cher pour ces marchands ambulants. «En termes de qualité, la nouvelle alternative est aussi moins efficace», insiste Mohamed. Un peu plus loin, Abdessamad livre des pommes à une cliente dans un sachet en carton, qui cède au poids de la marchandise et se déchire en une seconde. «Je n'ai pas le choix, je refais à chaque fois les paquets si les clients n'ont pas leurs propres sacs», indique Abdessamad. L'offre ne répond pas encore à la demande Outre le volet économique et l'efficacité d'emballage, un autre point suscite la grogne des acteurs de cet écosystème. Il s'agit de l'insuffisance de l'offre des nouvelles alternatives. «Je ne suis pas contre le changement. Mais j'ai du mal à m'approvisionner en sachets en carton ou en sacs en tissu. Chaque fois quand je me rend chez mon fournisseur, il n'en a plus en stock», souligne Adil, vendeur d'épices dans le même quartier. Contrairement à d'autres qui continuent d'utiliser les sacs en plastique pour servir leurs clients, Adil s'est déjà engagé dans la démarche écologique, par peur d'être sanctionné. En posant la question à ce fournisseur, qui est à deux rues d'où Adil tient son commerce, celui-ci nous révèle une problématique d'un autre genre. Il a en effet du mal à gérer la demande en sacs en carton et en tissu, qui augmente de jour en jour. «Les grandes surfaces et les grands commerces nous prennent presque tout le stock. A chaque arrivage, on les approvisionne en grande quantité», nous confie le fournisseur d'emballages. Et de poursuivre : «Nous avons du mal à honorer toutes les commandes, surtout quand il s'agit des petits commerces, qui représentent la majorité de nos clients». Au-delà d'un commerce qui n'est pas encore maîtrisé, une autre épine entrave l'approvisionnement des fournisseurs. L'un deux, ayant choisi l'anonymat, a dénoncé la pratique de certaines sociétés de fabrication. Celles-ci ont délibérément changé les modalités de paiement avec lesquelles elles avaient l'habitude d'échanger avec leurs clients grossistes. «Depuis quelques semaines, certains fabricants d'emballages écologiques exigent d'être payés en liquide. Aucun chèque ou traite ne sont tolérés», dénonce-t-il. «Les sommes sont très importantes, le prix de l'emballage a pratiquement triplé depuis le 1er juillet et nous n'avons pas toujours les moyens d'un règlement instantané», s'exclame le grossiste. Le reste à faire... La suppression des sacs en plastique est un pas de géant écologique certes, mais l'esprit du consommateur ne suit pas encore. A l'heure actuelle, des sanctions commencent déjà à tomber. «Un comité est en tournée quotidiennement. J'ai vu mes confrères se faire convoquer à la préfecture pour signer des avertissements parce qu'ils n'avaient pas liquidé leurs stocks en sacs en plastique», ajoute l'un des vendeurs d'emballage. Par peur de payer une amende, les commerçants n'ont d'autres choix que de s'acclimater. Le reste à faire est au niveau du petit consommateur, il doit enfin comprendre qu'il faut se munir d'un panier avant de sortir faire ses courses. Maryem Laftouty (journaliste stagiaire)