Au Maroc, 12% des couples souffrent d'infertilité, vivent dans la marginalisation et se voient généralement dans l'incapacité de recourir aux traitements. Après vingt longues années d'attente, un projet de loi relatif à l'assistance médicale (AMP) à la procréation est enfin né. Seulement voilà, la joie des spécialistes en quête d'un cadre juridique régissant le métier n'aura pas trop duré. En plus du fait que l'infertilité n'y est toujours pas considérée comme maladie, et donc son traitement n'est pas remboursable, c'est quasiment la moitié de la mouture du texte qui est consacrée à la pénalisation des actes et à des peines privatives de liberté. Ceci au moment où d'autres articles sont dénudés de toute logique scientifique et démontrent une réelle méconnaissance du domaine. Détails. C'est le Collectif citoyen pour le droit à la parenté (CCDP) qui vient tirer la sonnette d'alarme. Lors d'une rencontre tenue mercredi 23 juin, ce groupement fraîchement créé appelle à une urgente révision du projet de loi n°47-14 relative à l'assistance médicale à la procréation (AMP) et à la reconnaissance de l'infertilité comme une maladie. Sur ce point Pr Omar Sefrioui a été catégorique. En sa qualité de spécialiste en recherche et traitement de la stérilité, celui-ci indique que ce projet de loi est une grosse déception qui ne résolut en aucun cas le problème de santé publique qu'est l'infertilité. Il rappelle dans ce sens que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé en 2009 à la reconnaissance de l'infertilité comme maladie. Chose qui a été faite par tous les pays voisins (Algérie, Tunisie, Egypte...,) sauf au Maroc. Ici, 12% des couples souffrent d'infertilité, vivent dans la marginalisation et se voient généralement dans l'incapacité de recourir aux traitements. «On parle de 1,7 million de citoyens à qui cette loi ôte le droit à la succession, pourtant garanti par les préceptes de l'Islam», ajoute-t-il. Présent à cette rencontre, le président du Collège marocain de fertilité (CMF), Pr Fikri Jamal, a précisé pour sa part que sur ce projet de loi, le ministère n'aurait en aucun cas consulté les parties concernées. «Le projet comporte des lacunes et des approximations graves qui vont à l'encontre des données actuelles de la science, avec des conséquences dramatiques sur les citoyens. Dans ce texte, il existe un vrai problème technique sur lequel il y a urgence de se pencher», a-t-il fait savoir avant d'ajouter que se concentrer sur la pénalisation de la pratique relève de la terreur. En effet, si l'on se base sur les dispositions du projet, un simple problème administratif peut conduire le médecin en prison. «Un terroriste écopera moins d'années qu'un médecin ayant commis de simples imperfections administratives», ironise-t-il. Le législateur, mauvais élève? Parmi ce qui est considéré comme absurdités contenues dans ledit texte figure la légalisation de documents médicaux. «Voyez-vous un citoyen légaliser un document attestant de son infertilité ? Cela ne respecte aucun principe de confidentialité, ni d'intimité», ajoute Pr Fikri. Selon le collectif, il existerait un autre problème encore plus alarmant. Dans l'article 20, le législateur autorise un diagnostic génétique sur l'embryon dans le but de réaliser des soins (à cet embryon, ndlr). Parlerait-on de manipulation génétique ? En tout cas, les spécialistes s'empressent à dire que cela n'existe nulle part au monde et que toute intervention sur des embryons est strictement interdite car elle peut constituer un danger sur l'espèce humaine. Appuyant ce point, Dr Saif El Islam, biologiste dans un centre d'AMP et membre de la société marocaine de fertilité ajoute: «Le législateur n'a pas révisé sa copie. Le texte qu'il a élaboré évoque à deux reprises le traitement sur l'embryon. C'est dangereux et punissable à l'international. Nous sommes devenus, paraît-il, gardiens de la moralité a la place du législateur». Celui-ci regrette également des peines de prisons qui peuvent aller jusqu'à 20 ans (et un million de dirhams) au moment où «en Arabie Saoudite, la peine maximale est de cinq ans. Elle concerne toute activité de trafic». Il est également à souligner que le projet de loi vient strictement interdire et prévoit des peines de prison en cas de recours au screening préimplantatoire sur l'embryon, une technique censée améliorer les chances de grossesse. Le même texte autorise l'importation des gamètes de l'étranger au moment où il interdit tout mouvement de gamète d'un centre marocain vers un autre malgré le fait que les couples soient légalement propriétaires de leurs gamètes. Aussi, dans le cas où le projet de loi en question serait adopté, le médecin agréé sera interdit de pratiquer dans plusieurs centres. Il sera également appelé à parapher un registre par le président du tribunal. «Aucun métier n'exige cela ? Pourquoi serions-nous amenés à nous présenter au tribunal ? Pourquoi ne pas mettre ce registre à la disposition du médecin, au ministère de tutelle ou à l'Ordre des médecins ?», s'indigne le collectif pour qui toutes ces peines privatives font en sorte que l'exercice de ce métier relève désormais de l'aventure. «Peu de médecins oseront travailler dans ce domaine, cela comporte trop risques et nous pourrons assister à de plus en plus de détournement de spécialité qui, pourtant, permet de sauver des couples de divorce et de dépression», ajoute Pr Fikri. Cela dit, le CCDP ne veut pas que ce projet soit retiré mais appelle à son amendement. «Nous attendons ce texte depuis 20 ans. Nous demandons à ce que nos recommandations soient prises en compte et que ce texte comporte des lignes rouges tout en garantissant un accès aux traitements».