Le dimanche 21 novembre 2004, se tenait dans la grande salle de la Cité des sciences, à Paris, la première journée de l'amitié judéo-musulmane de France. Un événement inédit parrainé par Radio Shalom et Beur FM auquel ont participé des centaines de personnes. De mémoire de Parisien, on n'avait pas vu ça depuis des années, probablement depuis septembre 2000, date du déclenchement de la seconde Intifada, peut-être depuis plus longtemps. Pendant toute une journée, de 9h30 à minuit, des intellectuels, des rabbins, des imams, des responsables associatifs, juifs et musulmans, se sont retrouvés pour discuter, dialoguer mais aussi pour déguster des pâtisseries et applaudir des artistes des deux communautés réunis sur une même scène. Une performance remarquable d'autant que Radio Shalom et Beur FM, initiateurs de cette journée pas comme les autres, n'appartiennent pas à cette nébuleuse d'associations courageuses mais ultra-minoritaires qui ont l'habitude de ce genre de rencontres. Les deux principaux organisateurs de ce rassemblement étaient le consistoire de Paris (l'organisme chargé de la gestion des centaines de synagogues que compte la région Ile-de-France) et la Grande Mosquée de Paris. Deux poids lourds accompagnés d'une vingtaine d'associations réunies en collectif et parrainée par les deux principales radios communautaires de France: Radio Shalom et Beur FM. Le fait de mettre en commun toutes ces énergies représentait déjà une gageure en soi, mais les organisateurs avaient à cœur, de surcroît, d'évoquer les vrais problèmes qui enveniment les rapports entre Juifs et Musulmans de ce côté-ci de la Méditerranée : «Les années de l'Intifada, l'émergence de la deuxième religion de France (L'Islam), le débat sur les signes religieux à l'école, les profanations des lieux de cultes, synagogues et mosquées, cimetières juifs et cimetières musulmans, les agressions islamophobes et les agressions antisémites contre les Juifs de France, nous ont fait prendre conscience d'une certaine absence d'amitié, à des degrés variables entre Juifs et Musulmans », affirme le texte fondateur signé par l'ensemble des intervenants. Cheville ouvrière de ce rassemblement, le rabbin de l'Essonne, Michel Serfati, est né à Marrakech, il y a 62 ans. Il a, lui-même, été victime d'une agression antisémite. Le hasard du calendrier a voulu que son agresseur, Abdelrahim Azougagh, soit présenté au tribunal correctionnel d'Evry, le lendemain de cette journée oecuménique. Toutefois, inutile de préciser que l'idée de renoncer à son initiative de paix ne lui a jamais traversé l'esprit. Il ne s'est d'ailleurs jamais senti seul dans cette épreuve. L'indignation de Mohamed Touhami, imam de Ris Orangis, a été immédiate : « Michel Serfaty est une personnalité emblématique que l'on respecte énormément. Ceux qui l'on agressé sont des voyous qui ne représentent pas la communauté musulmane. Trop rares sont les gens de sa tempe », a-t-il déclaré. Idem pour Nacer Kettane, le président de Beur FM, qui souligne que « faire porter à toute une communauté, de façon univoque, la responsabilité d'actes odieux comme les profanations de cimetières, c'est aller vite en besogne et faire le jeu de gens qui, eux, recherchent justement cette confrontation entre les deux communautés». Du reste, les hommes et les femmes qui se sont retrouvés à la Cité des Sciences, le dimanche 21 novembre, étaient là aussi pour rappeler ce qui les rapproche. «J'insiste sur les convergences théologiques et religieuses qui devraient être, de mon point de vue, la base de cette amitié multiculturelle à laquelle je souhaite longue vie et dont l'effet aura le meilleur « vivre ensemble » de nos deux communautés », a souligné le recteur de la mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubakeur. Nacer Kettane a, lui, tenu à rappeler que les deux communautés n'en sont pas non plus à leur première rencontre: « Juifs et Musulamans se rencontrent depuis des siècles. Il y a toujours eu une entente. La Grande mosquée de Paris a protégé les Juifs durant le génocide. Claude Gérard Marcus, mon ami, ancien maire du Xème arrondissement de Paris, m'a appris que durant une année entière, le consistoire a alimenté les boucheries Halal de la région d'Ile-de-France. Il y avait eu un problème et ce sont les boucheries juives cachères qui ont sauvé les boucheries Halal musulmanes de la pénurie. Donc, concrètement, il y a déjà des actes, des choses très concrètes de faites». Partant sur de telles bases, la journée ne pouvait que réussir. Juifs et Musulmans ont pu participer, en toute sérénité, à un colloque réunissant des intellectuels, des imams et des rabbins. Puis ils étaient invités à découvrir une série de stands présentant côte à côte quelques unes des principales images de la vie juive et de la vie musulmane. Une exposition présentait des scènes concrètes de la vie comme le mariage ou la prière. Enfin le soir, l'événement s'est transformé en un gigantesque concert. Enrico Macias, Khaled, Rika Zaraï et des orchestres de musique andalouse se sont succédé sur scène. « Parce que les Juifs et les Arabes aiment la fête avant tout », faisait remarquer un intervenant. L'initiative a déjà sa suite : les participants au colloque ont décidé de créer une association de « l'amitié judéo-musulmane de France », dont le premier Conseil d'administration s'est réuni précisément, dimanche 21 novembre. « L'amitié est une construction en permanence. Chacun de nous appartient à une tradition. La relation de justice avec l'autre n'est pas à géométrie religieuse variable, elle est constante », a fait remarquer à la tribune Tareq Oubrou, imam de Bordeaux. « Il s'agit là d'une décision permanente de deux communautés religieuses de France, aux côtés de la grande communauté largement majoritaire des Chrétiens. Au-delà de l'Etat, de la nation française laïque, par tradition et par décision constitutionnelle, de respecter chacun, la religion de l'autre, et en particulier celles des livres saints de trois religions monothéiste de France », a tenu à dire le président de Radio Shalom, Robert Assaraf. • Paris-Correspondance particulière Bernard Abouaf