Pour gagner de l'argent facile, Ahmed et Abdellah recourent à un seul moyen : falsifier des cartes d'identité nationale, ouvrir des comptes bancaires et distribuer à gauche et à droite des chèques en bois. Ils n'ont pas pensé à leurs familles et à leur avenir. Mercredi 3 juillet 2002. La salle d'audience à la chambre criminelle près la Cour d'appel d'El Jadida est archicomble. Le président du tribunal, ses quatre assesseurs, le représentant du ministère public et le greffier n'y ont pas encore mis les pieds. Ahmed et Abdellah s'assoient calmement sur le banc des accusés. Ils causent de temps en temps et échangent, à chaque fois, des sourires comme s'ils attendaient une bonne nouvelle. Ils tournent la tête de temps en temps vers l'assistance pour chercher les membres de leurs familles. «Mahkama», crie l'agent de tribunal, annonçant l'ouverture de l'audience. Les deux amis se lèvent du banc des accusés, avancent tranquillement vers le box. «Vos noms, prénoms, date de naissance et…», leur demande le juge. «Ahmed, né en 1956 à Ezemmour, marié et père de quatre enfants, sans profession», répond l'un. «Abdellah, né en 1970 à El Jadida, célibataire, photographe…», répond l'autre. «Vous êtes accusés selon les dispositions des articles 366, 540 et 546 du code pénal pour faux d'un document officiel, usage de faux et escroquerie, que dites-vous de ces accusations…», leur dit le juge. «Non, non, nous n'avons rien commis M. le président, c'est un coup monté…», avance Ahmed sans attendre la permission du juge pour prendre la parole. Ahmed était un agent immobilier (Samsar) à Azemmour. Les dépenses quotidiennes deviennent d'un jour à l'autre un fardeau insupportable pour lui. Les revenus de «Tsamsir» ne lui rapportent plus de quoi satisfaire les besoins de son foyer. «Il me faut une solution convenable à cette situation critique…», pense-t-il. Le hasard lui fera rencontrer Abdellah, un être satanique. Ce photographe est connu par la majorité des habitants de la région. Il y était gérant durant des années d'un laboratoire de photographie. Seulement, il a été licencié par la suite. La rencontre entre Ahmed et Abdellah a changé le parcours de l'un et de l'autre. «Qu'est-ce que rapporte un travail honnête et digne ? Il ne rapporte que l'exploitation des employés et une misère…», se disent-ils quand ils se rencontrent d'un moment à l'autre dans un café de la ville. «Mais j'ai une idée géniale pour avoir facilement de l'argent…», propose Abdellah à Ahmed, qui ne pense qu'aux cinq bouches qu'il doit nourrir. Ahmed ne répond pas, ce qui lui importe, c'est d'avoir de l'argent, ni plus ni moins. L'idée cède la place à l'action. Abdellah recourt à son ordinateur et falsifie une première carte d'identité nationale, avec le nom, le prénom, la date de naissance et la photo d'identité d'Ahmed. Celui-ci n'a pas hésité une seconde à passer à la deuxième action : ouvrir un premier compte à une agence bancaire de Dchira, à Agadir, un deuxième a Ezemmour, un troisième à Rabat, un quatrième à Fès et un cinquième à Tanger. Ahmed reçoit par conséquent des chéquiers. Et c'est la troisième phase de l'opération qui a été entamée ; distribuer à gauche et à droite des chèques en bois pour recevoir des marchandises qu'ils revendent par la suite à des tiers. «Dans le procès verbal dressé par la police judiciaire, on parle d'un vendeur de melon auquel vous avez livré un chèque de 6 mille dirhams et d'un marchand d'appareils électroménagers auquel vous avez donné un chèque de 27.930 Dh, d'un horloger auquel vous avez filouté un montant de 4550 Dh…» leur relate le magistrat. Ahmed baisse la tête une fois encore et garde le silence. Et après le réquisitoire du représentant du ministère public et les plaidoiries de la défense constituées dans le cadre de l'assistance judiciaire, la Cour s'est retirée pour les délibérations. Le verdict tombe sur eux comme la foudre : trois ans de prison ferme.