Portrait. Noor est peut-être la première danseuse orientale au Maroc. En tout cas, la plus connue hors de nos frontières. Elle exerce son art avec passion. Créature androgyne pour certains, elle est surtout une bête de la danse. Le destin de Noor loge dans un nom. Un nom androgyne qui s'applique aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Un nom qui résonne au féminin aujourd'hui pour nommer l'artiste, la danseuse Noor. Mais quel chemin avant d'en arriver là ! Noor est né le 29 octobre 1969 à Agadir, de père français et de mère marrakchie. Comme tous les garçons, il portait un prénom de garçon. Un prénom rude, viril, mais il ne tient pas, aujourd'hui, à ce qu'on le rappelle, parce qu'il n'a aucune consistance. Il n'en a presque jamais eue. Les souvenirs de Noor semblent commencer avec sa passion pour la danse. Noor décide à l'âge de 12 ans de devenir soit procureur, soit danseuse. Le choix entre ces deux métiers surprend par l'abîme qui les sépare. Il faut chercher dans un film de Pedro Almodovar un personnage qui tient à la fois de Noor et du procureur. Pour Noor, cette hésitation est pourtant très claire. «Procureur ? Parce que j'aime la justice. Comme je me considère comme une personne faible, je suis portée naturellement à la défense des faibles». De cet ancien désir, Noor n'a gardé qu'une compassion pour les maux des autres et un sens aigu de la justice. C'est dans la danse qu'il va se retrouver. Il a commencé à danser, très jeune, dans un cadre familial. Les railleries des autres ne l'ont pas fait renoncer à sa passion. Il mettait une ceinture autour de la taille et embrasait l'atmosphère. Un adolescent se meut avec une grâce qui n'a rien à envier à celle des femmes. Sa tante s'est écriée en le regardant danser : «la plus féminine des femmes ne peut rivaliser avec ce diable !» Le jeune Noor n'avait cure des moqueries des autres. Il s'abandonnait à la danse, ne pouvait quitter la piste. Le démon de la danse orientale l'avait possédé. Il s'est mis alors à consommer frénétiquement les films égyptiens où il y a des séquences de danse. Il a tout appris de Samia Gamal, Tahiya Karyouka et les autres. Il apprend vite en regardant de tous ses yeux. Le désir de s'identifier à ces danseuses va s'accroître au fil du temps. Il a aussi éprouvé une vive fascination pour les hommes déguisés en femmes, qui dansaient dans des carrioles. «J'ai de l'estime pour leur courage» affirme-t-il. Il admire aussi Bouchaïb El Bidaoui qui mettait un caftan, et s'affichait en femme pour danser. Mais ces hommes que cite Noor demeurent des hommes, et c'est à une danseuse orientale qu'il voulait ressembler. Il fallait être une danseuse pour danser comme les idoles des films égyptiens. Noor se souvient encore de son premier costume de danseuse. Il avait 18 ans et il a osé faire un pas immense pour imiter les danseuses des films égyptiens. «J'ai pris un soutien-gorge dans la garde-robe de ma mère et j'ai dansé devant des amis !» Noor garde toujours à l'esprit l'ébahissement de ceux qui l'ont vu apparaître dans ce costume. Le déguisement l'enivre. Pour la première fois, «il» s'approchait de «elle» – sans quoi il ne saurait y avoir de vraie danse orientale. Vert était le premier costume de Noor. Il l'a vite changé contre un soutien-gorge, emprunté cette fois-ci à la bonne. Il était rouge-vif. Pour que tout rougeoie et verdoie. Pour que ces couleurs de la nature portent à leur comble cette vie que dégage la danseuse, il fallait une nouvelle naissance. Une métamorphose. Noor a revêtu tout de danseuse. Elle est une danseuse. La distinction n'était plus possible. C'est au féminin qu'il faut maintenant nommer cette artiste ! Une artiste qui va exporter la danse orientale partout dans le monde. On la surnomme la Samia Gamal du Maroc en Egypte. Samia Gamal, parce que Noor est élancée, et qu'elle a des bras longs qui la font rassembler à Shiva, la déesse hindoue aux quatre mains. Lorsqu'elle danse, c'est d'abord les mouvements de ses longs bras qui déferlent des vagues d'émotion et de sensualité – sans cesser d'observer les règles strictes de la danse orientale. Noor se connaît en matière de technique, puisqu'elle enseigne la danse à Rabat et à Casablanca. Elle est fière de communiquer son art. Elle est tout aussi fière d'être connue aux USA, au Japan, d'avoir dansé à la salle de Bercy à Paris, et surtout d'avoir contribué à la promotion de la candidature du Maroc, lors de la soirée de clôture du Congrès mondial pour l'environnement et l'eau potable en Australie. Elle exerce son art de A jusqu'à Z. Elle dessine ses costumes et crée des chorégraphies. Aujourd'hui, elle se tourne vers le cinéma. Elle a joué dans le dernier film de Nabil Ayouch. Elle va en tourner un autre en compagnie des comédiens Jamal Debbouz et Gad El Maleh. Le public pourra alors s'apercevoir de ses talents humoristiques. Noor se met aussi en colère lorsqu'on risque l'expression « danse du ventre» à propos de son art. «Il n'y a aucune commune mesure entre la danse orientale et la danse du ventre. La première est un art, la seconde un spectacle pour exciter les hommes», souligne-t-elle. Quant au reste qui regarde seulement l'intéressée, elle dit avec beaucoup de bon sens: «on est ce qu'on est. À chacun sa voie, sa vie. Moi, je représente l'amour entre l'homme et la femme.»