Quand le gouvernement tourne le dos à l'Anapec, l'Union européenne lui propose une réforme clé-en-main qui fait grincer des dents les salariés de l'agence. Les employés de l'Agence nationale pour la promotion de l'emploi et des compétences (Anapec) ont observé, mercredi dernier, une grève de protestation contre les agissements, non pas du directeur général de l'agence, Chafik Rached, mais du directeur général adjoint chargé du réseau, Nouredine Benkhalil. Dans un communiqué diffusé à cette occasion, les grévistes, affiliés à l'UGTM, accusent Benkhalil, entre autres, de semer la zizanie au sein de l'agence et de vouloir écarter tous les cadres "dérangeants" qu'il qualifie, d'ailleurs, comme des "incompétents". En clair, Nouredine Benkhalil est aujourd'hui un véritable persona non grata au sein de l'agence. Tout a commencé en décembre 2002, lorsque le Premier ministre, en sa qualité de président du conseil d'administration de l'Anapec, a envoyé une lettre au DG, Chafik Rached, lui interdisant clairement de disposer du budget de l'agence ou de procéder à une nouvelle nomination. En somme, Rached s'est trouvé dépourvu de tout pouvoir au sein de l'Anapec. Cette situation a permis à Benkhalil de gagner du terrain, d'autant plus que c'est lui le directeur du projet Méda à l'agence. Ce poste, très important, fait de lui l'interlocuteur unique de l'Union européenne, un partenaire privilégié de l'Anapec. Justement, la colère des employés et cadres de l'Agence a été attisée davantage par un rapport réalisé par deux experts dépêchés par la Commission européenne dans le cadre de la préparation du projet Méda 2. Un projet-pilote doté d'un budget global de 5 millions d'euros. Ces deux experts, un Belge et un Français, ont débarqué au Maroc en septembre dernier pour une "mission de diagnostic institutionnelle et organisationnelle", présentée par l'UE comme une condition sine qua non pour la signature du projet Méda 2, baptisé "Appui institutionnel à la circulation des personnes". Ce rapport a été, on ne peut plus critique à l'égard de l'organisation de l'agence et des compétences de ses cadres. Les recommandations des deux experts sont carrément considérées par les grévistes comme "aberrantes et diffamatoires". Et pour cause, les experts proposent de remplacer le nom "Anapec" par "ANPEM", c'est-à-dire l'Agence nationale pour l'emploi marocain. Aussi, les experts ont proposé un nouvel organigramme à deux directeurs généraux pour l'agence: un poste quasi symbolique (occupé actuellement par Rached) et l'autre coiffant tout le réseau des 24 agences (occupé actuellement par Benkhalil) et qui sera également chargé des emplois salariés, des créations d'entreprises et de la coopération internationale. Bref, Benkhalil risque de se retrouver grâce à la mission d'experts européens comme le maître absolu de l'Anapec. Autres remarques inappréciées par les grévistes: une forte présence syndicale et partisane au sein de l'agence. "Certes, le DG et certains cadres de l'Anapec sont proches du parti de l'Istiqlal, mais cela ne signifie aucunement que tous les 300 employés de l'Anapec sont des militants de ce parti", souligne un cadre de l'agence. Et d'ajouter, que, bizarrement, tous les cadres avec lesquels Benkhalil ne s'entend pas ont vu leur poste disparaître de l'organigramme proposé par les experts européens. Lundi prochain, 8 novembre, le Premier ministre Driss Jettou a prévu (sauf changement de dernière minute) de présider un Conseil d'administration de l'Anapec. Parmi les questions à l'ordre du jour, figure l'examen des recommandations des experts de Bruxelles. La grève du mercredi a eu justement pour but d'attirer l'attention du Premier ministre sur les "conséquences désastreuses" d'une éventuelle approbation de ces recommandations. En fait, l'Anapec est toujours en train de payer le prix de l'affaire Ennajat qui a eu, grosso modo, deux conséquences importantes. Tout d'abord, plus personne au gouvernement ne veut plus entendre parler de cette institution qui regorge pourtant de cadres marocains compétents et expérimentés. Certes, l'affaire Ennajat a été un coup dur pour l'agence, mais cela ne l'a pas empêchée d'inscrire de bons points, de redorer son blason et surtout d'améliorer l'expertise des ressources humaines pour justement éviter une affaire Ennajat-bis. Quand le gouvernement a tourné le dos à l'Anapec, l'Union européenne a commencé à émettre de sérieux doutes quant à la capacité de l'agence à accueillir le programme Méda 2 (projet-pilote qui risque d'atterrir chez les Tunisiens), surtout quand le projet Méda 1 a subi des retards flagrants. Dans une missive datée du 16 juillet 2004, l'ambassadeur de l'UE à Rabat, Sean Doyle, tout en rappelant "le rôle incontournable de l'Anapec", a appelé la Primature à accorder à l'agence "un appui politique" et des moyens humains et matériels conséquents. Le tout sans excès de précipitation. En un mot: la balle est dans le camp du Premier ministre.