C'est ce qui s'appelle l'ivresse de l'art. Rester éveillé, en dehors des contingences du temps, sans se préoccuper de la faim et encore moins du sommeil. Telle est l'expérience qu'ont vécue les personnes qui ont visité une exposition de Picasso et de Matisse à la Tate Modern de Londres. Les expositions provoquent des files d'attente, parfois longues de plusieurs centaines de mètres, dans les pays occidentaux. Les gens aiment l'art, et sont prêts à tout pour regarder les œuvres des artistes dont ils font grand cas. Y compris à une attente de plusieurs heures devant les bâtiments d'un musée. Cela s'est vu. Ce qui est rare en revanche, c'est une nuit passée dans un musée. Les heureux insomniaques qui ont vécu cette expérience la doivent à la fin de l'exposition «Matisse-Picasso» qui se tient à la Tate Modern de Londres. Nombre de personnes n'ont pas réussi en dépit de leur patience à entrer, pendant les heures d'ouverture, dans les locaux de ce musée. Pour satisfaire cette masse de personnes frustrées, le célèbre musée à turbine de la Tamise a décidé, pour la première fois de son histoire, d'ouvrir ses portes 36 heures d'affilée, englobant la nuit de samedi à dimanche dernier. Le journal français « Libération » décrit l'atmosphère. « 22 heures. Les quais devant l'ancienne usine à gaz ont commencé à déborder de monde. Les spectateurs du Globe, qui viennent d'applaudir à n'en pas douter un chef-d'œuvre du théâtre élisabéthain, se déversent en flot continu sur la promenade qui longe la rive sud de la Tamise ». Les gens y restent jusqu'à l'aube, jusqu'au petit matin, jusqu'aux klaxons des premières voitures qui signalent l'éveil d'une ville au travail. Ils tanguent de fatigue, ressemblent à des somnambules aux yeux pourtant bien ouverts pour ne rien perdre des œuvres exposées. Comment ne pas éprouver un pincement au cœur en prenant compte de cette réalité ? Nombre d'expositions intéressantes attirent très peu de personnes dans notre pays. À l'importante exposition du peintre Antoni Tapiès à la Galerie Bab Rouah, il n'y avait pas un chat. Ici, les files d'attente et les gens qui sacrifient une nuit de sommeil, il faut les chercher du côté des consulats qui délivrent des visas.