Mohamed Lakhssassi, membre de la Commission administrative de l'USFP décortique la situation politique actuelle et les convulsions qui secouent la centrale syndicale CDT. Entretien. Aujourd'hui le Maroc : Quel regard portez-vous sur la situation politique actuelle ? Mohamed Lakhssassi : L'évaluation de la situation politique actuelle ne peut se faire d'une manière objective et pertinente sans procéder par comparaison. Seule la méthode comparative nous permet de mieux juger le bilan du gouvernement Youssoufi. En effet, l'avènement de l'expérience d'alternance en 1977, aboutissement heureux d'une volonté politique royale de changement et de redressement, et d'une adhésion conséquente et réfléchie de la part de l'USFP et des forces nationales et démocratiques, a créé les conditions requises pour que le pays s'engage résolument dans la voie de réformes politiques, de redressement économique, de promotion sociale et de progrès en matière des droits de l'Homme et des libertés politiques. A en juger par les avancées politiques accomplies dans le domaine de l'élargissement des libertés publiques, de l'amélioration des conditions d'exercice des droits de l'Homme, du renforcement de la protection de l'enfance et de la promotion des conditions de la femme, par les efforts déployés en vue de maintenir les équilibres des finances publiques, d'accompagner et encourager les investissements, privés et publics, de soutenir et améliorer le niveau de la croissance économique, par les progrès réalisés dans le domaine du développement des infrastructures de base dans le monde rural, dans l'amélioration des conditions de santé publique et de l'habitat social, de l'assainissement et la restructuration d'organismes étatiques, dont le bilan catastrophique des années de mauvaise gestion fait partie du lot hérité de la période pré-alternance. A en juger par la somme de ces réalisations, le bilan du gouvernement d'alternance est globalement positif. Mais il n'y a pas que des points positifs dans le bilan du gouvernement ? Evidemment, nombreux sont les points d'ombre qui entachent encore ce tableau de réalisations gouvernementales et qui font crier au scandale l'opposition. Les déficits sociaux, il faut le reconnaître, sont nombreux et persistants, à commencer d'ailleurs par la gangrène du chômage, gangrène sévissant sur les jeunes en particulier. Mais ces déficits sociaux qui se sont d'ailleurs accumulés deux décennies durant sous la houlette de la politique dite «d'ajustement structurel», ne peuvent être résolus du jour au lendemain, leur résorption progressive, mais tenace, s'inscrit dans la durée. Il appartient donc aux électeurs marocains, lors des échéances prochaines, de prendre la mesure des réalités et de faire bon usage de leur bulletin de vote. Qu'en est-il des tiraillements qui déchirent la CDT ? Les conflits sévissant au sein de la CDT sont en réalité d'essence politique, bien que l'aspect organisationnel est souvent revendiqué et mis en avant. Ces conflits, menaçant l'unité et la crédibilité de la centrale syndicale, et partant, l'unité et la fiabilité de l'action de la classe ouvrière, s'inscrivent en fait dans l'implacable dynamique de sécession qui a secoué les rangs de l'USFP, lors de notre 6° congrès et dont l'effet d'onde de charge continue de sévir au sein de la CDT. A en juger par le discours politique et les modalités qui fondent et caractérisent ces sécessions en série, affectant bon nombre de composantes syndicales de la CDT, on est porté à penser que ces conflits, à répétition, affectent de répondre à des considérations circonstancielles et conjoncturelles, ils perdent manifestement de vue la perspective politique et gomment inopinément la vision stratégique dont les impératifs sont et demeurent l'unité des travailleurs et la cohésion des forces démocratiques et de gauche. Il est regrettable que les convulsions du contexte et les passions partisanes du moment prennent le pas sur l'analyse politique pertinente et mettent en péril les plus belles constructions politiques et les beaux projets d'avenir. Il est également regrettable que des années d'efforts et de sacrifices, en vue de bâtir une forte et imposante centrale syndicale, capable de tenir pleinement le rôle de la classe ouvrière, aux côtés des autres forces démocratiques, dans l'action unitaire et soutenue, pour renforcer le monument des réformes et des transformations démocratiques en cours dans le pays d'une part, et pour contribuer de l'autre à l'éclosion d'un pôle démocratique et de gauche capable de contribuer efficacement aux efforts de redressement national menés résolument par S.M. le Roi Mohamed VI. Il est regrettable que ces efforts partent inopportunément en fumée. Comment, dans ce cas, envisagez-vous le règlement de cette situation ? Parmi les solutions à envisager pour mettre un terme à ces conflits, la tenue d'un congrès national de la CDT. Sans doute cette approche politique raisonnable pourrait-elle contribuer à mettre fin à cette diabolique dynamique de sécessions. Mais, la réussite des travaux de cette instance nationale demeure cependant tributaire des efforts de clarification, de persuasion et de réconciliation susceptibles de garantir les chances de réussite du congrès national. Pour ce faire, il faudrait renouer avec les vertus du dialogue politique, faire honneur aux principes et aux pratiques de la démocratie interne et mettre en place de nouvelles règles de partenariat et de coopération, tout en tenant compte des nouvelles réalités politiques entamant les rapports USFP-CDT. Une évidence à portée historique s'impose toutefois aux deux acteurs politico-syndicaux en lice: les dirigeants ne font que passer, les hommes et les idées, eux restent.