En 1789,William Lemprière, un chirurgien britannique, arrive au Maroc pour soigner les yeux du fils de l'Empereur, «Sidi Mahomet». Son récit, bien subjectif, est ponctué d'informations précieuses et de préjugés largement partagés à l'époque. Récit à lire l'esprit bien ouvert. Outre ces édifices, l'Empereur a un palais dans la ville, qu'il occupe rarement : il est d'une architecture moderne, mais trop petit pour un souverain. Les rues d'Essaouira sont alignées au cordeau, mais elles sont trop étroites. Les maisons, bien différentes de celles des autres villes de Maroc, sont fort élevées. La baie n'est pas sûre : les vaisseaux y souffrent beaucoup par le vent de Nord-Ouest, n'étant abrités que par une petite île qu'on aperçoit à un quart de mille du bord de la mer. Cette baie est défendue par un fort bien garni de canons. Chapitre IV Les négociants européens établis à Essaouira me procurèrent une occasion favorable de bien m'inscrire sur le gouvernement du pays, et d'en connaître toutes les productions. Les instructions que j'ai recueillies sur ces différents objets m'ont mis en état d'en rendre un compte exact et véridique. L'Empire de Maroc est situé entre le vingt-neuvième et le trente-sixième degré de latitude nord. Il a environ cinq cent cinquante milles de long du nord au sud, et deux cents milles de large. Il est borné au nord par le détroit de Gibraltar et la mer Méditerranée; à l'est, par le royaume de Tlemcen et celui de Sigilmassa, au sud, par la rivière de Suz et le pays de Tafilalet, et à l'ouest par l'océan Atlantique. Cet Empire est composé de plusieurs provinces qui, comme beaucoup d'autres parties du globe qu'on a réunies pour faire un seul Etat, étaient anciennement de petits royaume séparés. Le climat, quoique très chaud pendant les mois de juin, juillet et août dans les provinces méridionales,est en général fort sain, non seulement pour les natifs du pays, mais encore pour les Européens. La chaleur qui se fait sentir dans le Nord est à peu près la même que celle d'Espagne et de Portugal ; les pluies du printemps et de l'automne se ressemblent aussi : elles sont beaucoup moins abondantes dans la partie méridionale. C'est sans doute pour cette raison que la chaleur y est insupportable. La plupart des villes où l'on a permis aux Européens de s'établir sont situées sur la côte ; ce qui est d'un grand avantage pour jouir des brises de la mer, qui rafraîchissent l'air. La ville d'Essaouira, quoique tout à fait au Midi, n'est point désagréable à habiter. Le vent du Nord-ouest, qui y souffle constamment pendant l'été, en rend la situation pareille aux climats les plus tempérés de l'Europe. Maroc et Taroudannt sont dans l'intérieur du pays : aussi ces deux villes, quoique au même degré de latitude qu'Essaouira, sont exposées à la chaleur la plus incommode ; cependant, elle est un peu tempérée par le voisinage de l'Atlas, dont la cime, couverte de neige toute l'année, ne cesse pas de rafraîchir l'atmosphère. Le sol de l'Empire de Maroc est généralement très fertile. Avec une culture convenable, il produirait des récoltes aussi abondantes que les terres situées à l'est et à l'ouest de l'Europe. Cependant, les bords de la mer et les grandes montagnes, qui sont très communes dans ce pays-là, produisent peu de choses, parce que le fond en est sablonneux: mais partout où il y a de la plaine, comme entre Larache et Mehdia, les environs de Maroc et de Taroudannt, les récoltes sont excellentes. Je pourrais assurer d'après les meilleures autorités, qu'à Tafilalelt et dans la plupart des parties intérieures de l'Empire, la fertilité du sol dépasse tout ce qu'on peut imaginer. Telle est encore l'ignorance des Maures en agriculture, qu'ils se contentent, pour fumer leurs terres, de brûler les chaumes dans les champs avant les pluies d'automne ; après quoi ils labourent à six pouces de profondeur. Cette culture, toute médiocre qu'elle est, suffit à leurs terres pour leur faire rapporter de bonnes récoltes en froment, orge, pois, fèves, chanvre et lin. Elles produisent aussi abondamment des oranges, des citrons, des limons et toutes sortes de fruits, qui viennent dans les provinces méridionales d'Espagne et de Portugal. Les fermiers arabes conservent leurs grains dans des «matmouras», qui sont de grands trous faits dans la terre, et recouverts de paille. Ils ont le soin de choisir, à cet effet, un lieu élevé, qui ait la forme d'un pain de sucre. Sans cette précaution, l'eau pourrait pénétrer dans ces fosses et gâter le blé. On a vu de ces «matmouras» gardés cinq à six et même vingt ans, sans que le blé en souffrît aucune altération considérable. Le peu d'encouragement accordé à l'industrie des fermiers fait que les fruits n'acquièrent point ce degré de saveur et de bonté qu'on leur a donné en Europe. Si le goût de l'agriculture et du commerce était provoqué dans ces contrées par de meilleures lois, l'habitant ne tarderait pas à s'enrichir, et les coffres de l'Empereur se ressentiraient bientôt de son opulence. L'Empire de Maroc, par son heureuse situation et la fertilité de son sol, pourrait être d'une grande importance politique et commerciale, n'ayant d'autres inconvénient que ses mauvais ports ; et encore ai-je été informé qu'il y avait à Valedia un bassin naturel, capable de contenir un grand nombre de vaisseaux. D'ailleurs, il n'est pas douteux qu'on parviendrait, avec un peu de travail, à réparer les ports que la négligence a mis hors d'état de servir. En traversant un si beau pays, on est vraiment affligé de voir tant de terres incultes qui ne demandent que des hommes laborieux pour produire des trésors inépuisables. Malgré les terrains en friche, l'abondance du blé est assez considérable pour en exporter beaucoup dans les provinces méridionales de l'Espagne. On a de la peine à concevoir comment le souverain de cet Etat se soumet à faire des présents à l'Empereur de Maroc, pour qu'il permette à ses sujets d'apporter du blé dans ses ports, ainsi que beaucoup d'autres provisions qui viennent en Espagne par Tanger et Tétouan. A quoi peut-on attribuer cette étonnante nécessite ? Est-ce que le Maroc serait plus fertile que l'Espagne, et qu'il aurait du superflu malgré sa mauvaise culture ? Ou ne serait-ce pas plutôt que la paresse et l'indolence espagnoles sont encore plus fortes que celles des Maures ? Les Juifs font du vin dans presque toutes les parties de l'Empire ; mais soit que leur raisin soit de mauvaise qualité, ou qu'ils s'y prennent mal pour le faire, toujours est-il certain qu'il est fort médiocre. Ils distillent une espèce d'eau-de-vie de figues et de raisins sec, bien connue dans le pays sous le nom d'«aquadent». Cette liqueur est désagréable à boire ; mais elle a beaucoup de force. Les Juifs en font grand cas, et s'en régalent dans toutes leurs fêtes. Les Maures sont très disposés à en prendre leur part. Il croît dans les environs de Meknès une espèce de tabac, et j'ai observé qu'il y avait dans les forêts de petits chênes nains qui portaient des glands d'une grosseur remarquable, qui n'avaient pas l'amertume des glands des chênes qui viennent d'Europe. Dans le Sud de Maroc j'ai trouvé des palmiers et des dattiers portant des amandes dont les Maures extraient une grande quantité d'huile qu'ils exportent chez l'étranger. J'ai vu aussi une variété infinie d'arbrisseaux et de plantes de toute espèce, qui croissent également en Espagne et au Portugal. Le coton, la cire, le miel, le sel, la gomme arabique et la sandaraque, sont toutes productions de ce pays. Le mont Atlas renferme dans son sein beaucoup de mines de fer, dont les Maures ne profitent point, parce qu'ils savent pas la manière de les exploiter. Leur ignorance à cet égard les met dans la nécessité de venir chercher du fer en Europe. On a découvert des mines de cuivre dans les environs de Taroudannt ; il y en aurait aussi d'or et d'argent dans le mont Atlas, mais l'Empereur, dit-on, ne permet point d'y toucher. Je suis persuadé que cette assertion n'a aucun fondement. Les Berbères qui habitent ces montagnes, et qui ne sont sujets du gouvernement de Maroc que par leur nom, auraient tout tenté pour s'emparer de ces trésors, s'ils avaient existé. Cependant il est plus que probable que cette chaîne de montagnes renferme des minéraux précieux ; mais l'indolence des gens du pays, et l'éloignement où l'on tient les étrangers de cette source de richesses, empêcheront encore longtemps qu'on en tire parti. Les animaux domestiques de Maroc sont les mêmes qu'en Europe, à l'exception du chameau, dont on fait un grand usage dans cette partie du monde. La fatigue qu'il est en état de soutenir, et le peu de nourriture dont il a besoin, le font grandement estimer. Les chameaux servent à tous les travaux de la campagne et du commerce ; ils sont très nombreux en Barbarie. On m'a assuré que les dromadaires étaient indigènes dans le pays ; mais je n'en ai aucune preuve certaine. Ceux que j'ai vus, et qui appartenaient à l'Empereur, venaient de la côte de Guinée. La vitesse du dromadaire est surprenante. Il va avec une telle rapidité, que le cavalier qui le monte serait en danger de perdre haleine, s'il ne prenait des précautions pour conserver sa respiration. Il est aussi obligé de se couvrir le visage, à l'exception des yeux, pour éviter la douleur qu'il éprouverait en fendant l'air aussi rapidement. Dans un beau chemin, le dromadaire peut faire cinq cents milles dans quatre jours. Les bœufs et les moutons de Maroc sont petits ; leur viande est excellente. Le cuir des uns, et la laine des autres, sont deux objets considérables de commerce. Les moutons à grande queue, qu'on nomme en Angleterre moutons de Barbarie, sont très rares à Essaouira, ils sont plus communs dans la partie Est de l'Empire. Les chevaux, par le peu de soin qu'on a pris à conserver les belles races, ont beaucoup perdu des qualités qui les faisaient rechercher autrefois. Cependant, on en trouve encore de très bons dans le pays ; ils sont estimés pour leur vivacité et leur vigueur ; malgré cela, on se sert plus communément des mulets qui, à mon avis, n'égalent pas ceux d'Espagne en taille et en beauté. La volaille et les pigeons sont extraordinairement abondants dans l'Empire de Maroc. Les canards y sont rares. Je n'y ai point vu d'oies, ni de dindons. Les perdrix rouge y est très commune. A certaine saison de l'année on y trouve le frankolin, qui est l'espèce des perdrix, d'un beau plumage et d'un goût délicieux. • Par William Lemprière Voyage dans l'empire de Maroc et au Royaume de Fez