Le patron de la DGSN vient de suspendre de ses fonctions une bonne brochette de la police de Salé, accusée par la trafiquante de drogue récemment arrêtée d'avoir fermé les yeux sur son commerce illicite contre bakchich. Récit. Fatiha Hammoud n'écoulera plus les stupéfiants. Du moins pour longtemps. Depuis le 3 septembre, cette trafiquante de drogue surnommée “Jeblia“ séjourne à la prison de Salé en attendant l'ouverture de son procès. Elle réunit sur elle assez de chefs d'accusation pour passer une bonne partie de ce qui lui reste à vivre derrière les barreaux. Fin donc de cavale pour cette femme de 39 ans que les polices de nombre de villes du pays (Rabat, Salé, Témara, Youssoufia) recherchaient depuis 2002. En vain. Étonnant lorsque l'on sait que l'accusée a fait l'objet de quelque 206 avis de recherche émis aussi bien par la police que la gendarmerie. Comme insaisissable, elle passait mystérieusement à travers les mailles du filet. Il a fallu que le procureur du Roi près la Cour d'appel de Rabat saisisse la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) pour que la machine s'emballe. L'interpellation par la gendarmerie de Rabat d'un dealer du nom de Noureddine Belguelloul chez qui on a découvert une paire de menottes et quelques plaques de haschich a remis les enquêteurs sur la piste de “Jeblia“. Cette fois-ci, ce sont les limiers de la BNPJ qui sont chargés de la cravater. Mission accomplie moins de 10 jours plus tard. Ce 31 août, Fatiha Hammoud se planque dans un appartement qu'elle a loué quelques mois plus tôt sur le boulevard Yâcoub Mansour à Casablanca. Il est 10 heures quand elle est réveillée soudain par des coups violents à la porte. Paupières encore alourdies de sommeil, visage bouffi et cheveux hirsutes, elle se lève lentement pour aller ouvrir. Deux hommes en civil sont postés à l'entrée. Sans prendre la peine de regarder par l'œil-de-bœuf, elle actionne la poignée de la porte. Et patatras. Elle se retrouve nez à nez avec les officiers de la BNPJ qui en même temps qu'ils font irruption à l'intérieur de la maison lui lancent juste ce mot : “ Police“, suivie de cette vérification d'identité : Etes-vous Fatiha Jeblia ? L'intéressée opine du bonnet. Nonchalamment.Une certaine fatigue de vivre est perceptible chez cette dame qui se livre sans opposer la moindre de résistance. Elle dira plus tard aux enquêteurs : “ Vous savez, je suis exténuée. Cela fait plus de quatre mois que je n'arrive plus à dormir que grâce aux somnifères. J'ai perdu toute force à l'idée de me savoir traquée. J'ai bien besoin de décrocher un peu“. Elle aura juste le temps d'enfiler à la va-vite une djellaba de couleur bleue sous l'œil vigilant des deux policiers qui ne la quittent pas d'une semelle avant qu'elle ne soit embarquée à bord d'une voiture banalisée. Garde-à-vue de 48 heures. Interrogatoire dans les locaux de la BNPJ à Casablanca. Ensuite elle est déférée devant la Cour d'appel de Rabat. Qui est Fatiha Hammoud ? Niveau d'instruction très moyen (4ème année secondaire), issue d'une fratrie nombreuse ( 7 garçons et une demie sœur), elle se lance dans le trafic du cannabis en 2000. Rien ne prédestinait cette fille à un commerce aussi dangereux monopolisé par les hommes. Après avoir quitté les bancs de l'école, elle suit une petite formation en dactylographie et travaille dans les années 80 comme opératrice de saisie dans une agence immobilière. En s'aventurant dans cette activité illicite, elle prend le relais de son époux, Mustapha Reggam, qui l'épousera en 1990 après deux divorces. Le mari, dont elle aura un garçon a écopé alors de 5 ans de prison pour trafic de drogue. En fait, c'est sa belle famille qui l'a poussée sur cette voie. Surtout sa belle-mère toujours en vie qui dans sa jeunesse était une baronne des stupéfiants avant, à la faveur de l'âge, de se résoudre à prendre sa retraite. C'est cette dernière qui portait le surnom de Jéblia avant qu'il ne soit refilé à sa belle fille. La famille Reggam de Salé est réputée pour avoir fait du hachisch sa principale source de revenu. Fatiha Hammoud entre à son tour dans l'engrenage et fait du quartier Oued Eddahab à Salé, relevant du commandement de la gendarmerie, le champ de son action. C'est de là que part la marchandise pour être écoulée ensuite par une foule de dealers sur l'ensemble du territoire national. Fatiha Hammoud ne faisait que tirer les ficelles, prenant grand soin de ne jamais apparaître au grand jour. Si bien que les policiers de Salé, selon un enquêteur, ne connaissent même pas son visage. En femme patronnesse, elle s'est entourée d'une camarilla d'hommes de main qui se chargent de toutes les besognes. Elle a poussé la discrétion jusqu'à ne se déplacer que dans des voitures de location, changeant constamment de domicile et de ville. Mais Jeblia n'a pas pu remplacer son ex-bras droit, son homme à tout faire. Abdelaziz Belahssen, alias Dab, né en 1972 à Salé, est tombé en 2003. Depuis, il purge une peine de 10 ans de réclusion. C'est ce jeune homme qui s'occupait de tout, de la réception des stupéfiants à leur revente en passant par l'achat des complicités. Après avoir empoché sa part, elle lui donne, selon ses dires à la police, près de 80.000 Dhs par semaine. Une manne assez substantielle qu'elle n'a pas apparemment, cherché à blanchir, puisque les enquêteurs ne lui reconnaissent pour le moment aucun bien. L'accusée a affirmé lors de l'interrogatoire qu'elle a bénéficié contre des sommes sonnantes et trébuchantes de la protection de la police et de la gendarmerie de Salé. Patron de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), Hamidou Laânigri a suspendu mercredi 15 septembre en attendant les résultats de l'enquête une bonne partie du commandement policier de la ville tous grades confondus. Dans le lot, le chef de sûreté, le chef de la PJ et le chef de la BAG (brigade antigang). La BNPJ attend à son tour la réponse de la Gendarmerie pour entendre neuf gendarmes cités par Jeblia. Si les accusations de la baronne de drogue de Salé s'avèrent fondées, on comprendra dès lors pourquoi elle a longtemps échappé à la prise des forces de l'ordre.