Entretien avec Benaceur Boulaajoul, secrétaire permanant du Comité national de prévention des accidents de la circulation ALM : Comment se profile votre plan d'action 2016 ? Benaceur Boulaajoul : Le plan d'action du Comité national de prévention des accidents de la circulation pour l'année 2016 a été élaboré sur la base d'un certain nombre de principes. Tout d'abord, on vient de faire le bilan d'une stratégie nationale de sécurité routière qui s'était étalée sur la décennie 2004-2014. Et 2015 a donc été une année charnière consacrée à l'élaboration de la nouvelle stratégie et à l'évaluation de la précédente. Vous comprendrez donc que le plan d'action proposé pour l'année 2016 capitalise sur les acquis obtenus durant la mise en œuvre de la 1ère stratégie mais également en essayant d'éviter les écueils et surmonter les obstacles rencontrés auparavant. Vous avez parlé d'élaboration d'une nouvelle stratégie. Où en est-elle ? A l'heure où je vous parle, la Stratégie, pour la prochaine décennie, en est encore à l'étape de projet, nous l'avons discutée en début de semaine lors d'une réunion du Comité permanent de la sécurité routière dans le cadre de l'action institutionnelle dans ce domaine et en commémoration de la Journée nationale de la sécurité routière 2016. Elle sera donc présentée au comité interministériel, pour adoption, dans la semaine en cours. En quoi la nouvelle Stratégie nationale de sécurité routière est-elle différente de la précédente ? La nouvelle stratégie s'est fixé un certain nombre d'objectifs clairs et surtout quantitatifs. Auparavant, on s'était fixé des objectifs sans s'engager sur un chiffre précis. Mais, dans le cadre de ce projet de Stratégie, l'objectif est de réduire de moitié le nombre de tués d'ici à la fin de sa mise en œuvre. Ainsi, durant les 10 prochaines années (2025), nous visons à réduire le nombre de décès sur les routes de 50%, avec un objectif intermédiaire, de réduire de 25% le nombre de tués d'ici à 2020. En chiffres, une réduction de 25% de décès par an équivaut à passer à moins de 2.800 tués par an à l'horizon 2020, avec un objectif ultime de réduire à 1.900 le nombre de tués par an d'ici à 2025. Dans ce cadre, le CNPAC agira en tant qu'agent marqueteur de la politique du gouvernement de la sécurité routière et sera appelé à accompagner cette stratégie par un plan de communication. Justement comment se ce plan se décline-t-il ? Il se base sur l'accompagnement de l'ensemble des actions qui sont prévues par les différents acteurs concernés et les partenaires. A ce niveau je peux vous citer trois niveaux de partenaires. Il y a, tout d'abord, les acteurs institutionnels (tous les acteurs qui rentrent dans le giron des acteurs publics: gendarmerie, DGSN, santé, protection civile, ministère de l'équipement et du transport...). Ensuite, il y a les acteurs professionnels (les transporteurs et les sociétés qui opèrent dans le secteur du transport, comme ça peut être un opérateur économique quelconque : cimenteries, sociétés de carburants, concessionnaires automobiles...). Et enfin, il y a la société civile (ce sont toutes les associations qui travaillent dans plusieurs domaines mais qui s'intéressent particulièrement à la sécurité routière). Notre rôle est de leur assurer un accompagnement pour nous permettre de le décliner au niveau local. Dans ce sillage, notre plan d'action a été élaboré sur la base d'une évaluation objective, sur une analyse statistique des indicateurs de la sécurité routière, sur la capitalisation des acquis et sur la délimitation des dysfonctionnements qui ont été relevés. Il vise à s'appuyer sur toutes ces considérations et sortir avec des actions concrètes qui couvrent les différents métiers que nous gérons. Une douzaine de villes ont été choisies pour signer des conventions avec le ministère dans l'objectif de les accompagner ou les assister aussi bien financièrement que techniquement pour améliorer leur sécurité routière. Pensez-vous que les objectifs de la nouvelle stratégie sont possibles à atteindre? Tout à fait. Tenant compte de la croissance de notre parc automobile, de notre activité économique, de la taille de la population, du réseau routier, si l'on ne fait rien, l'hécatombe n'en sera que plus grande. Si on ne peut pas réduire à zéro le nombre de morts sur les routes, il faut le ramener à un niveau acceptable, comparativement à d'autres pays. En ce sens, réduire le nombre de décès sur les routes de 50% sachant que le parc, le trafic et la population continueront à augmenter, sera un grand pas en avant qui nous permettra de maîtriser le risque et la sinistralité routiers. En ce sens, je peux vous garantir que la marge de manœuvre est encore énorme. Il y a, en effet, un certain nombre de leviers pas encore exploités et qui peuvent créer de la valeur ajoutée. En milieu urbain, la sécurité routière est un chantier important et le défi s'impose, donc, en termes de pilotage, de monitoring et d'indicateurs de suivi et d'évaluation. A ce titre, il y a une douzaine de villes choisies pour signer des conventions avec le ministère dans l'objectif de les accompagner ou les assister aussi bien financièrement que techniquement pour améliorer leur sécurité routière. Au niveau de la sensibilisation, qu'avez-vous prévu pour 2016 ? Pour l'instant, on travaille à l'élaboration d'émissions télé dédiées. Ainsi en cette année 2016, on lancera une émission sur Médi1TV intitulée «Rouh aziza aand Allah» et qui s'appuie sur le volet émotionnel avec la participation de l'actrice Naima El Mcharqi. On a aussi une émission, dans le pipe, qui consiste à valoriser le métier de moniteur de conduite en auto-école, c'est une télé-réalité qui s'intitule «l'permis». Le but en est de montrer que le permis de conduire n'est pas seulement une formalité administrative, mais que la procédure pour l'obtenir doit être vécue de manière à assurer un ancrage réel avec toutes les valeurs de la sécurité routière. On essaye de donner une autre lecture du code de la route mais aussi mettre en avant toutes les réformes réalisées dans le cadre de la mise en œuvre du nouveau système pour l'obtention du permis de conduire que ce soit au niveau de l'auto-école, de la partie apprentissage ou bien au niveau de la partie examen. Nous avons d'autres partenariats avec d'autres supports, notamment la SNRT et on essaie aussi d'investir la dimension culturelle de notre pays à travers la langue amazighe. Comment vous y prenez-vous ? Tout dépend du message à véhiculer et de la cible à viser. Ainsi, il nous arrive d'investir des thématiques assez osées, comme on a fait avec Hassan El Fad, dans un style humoristique. Ou encore, nous agissons dans un style cru qui vise à dire la réalité telle qu'elle se présente aujourd'hui. Selon la thématique, l'approche de communication diffère (émotionnelle, didactique, informationnelle). Le grand défi pour nous c'est d'assurer un dosage équilibré entre ces approches. De même, on s'adapte aux supports que nous choisissons. Ainsi, sur une chaîne radio à vocation sportive, par exemple, on proposera des produits à même d'être assimilés facilement, dans un langage accessible au milieu sportif. En parallèle, nous avons un plan d'affichage très global. Ainsi, on dépasse les 110 villes au niveau national en termes de panneaux d'affichage avec deux types de réseaux. Un réseau en location en milieu urbain et notre propre réseau d'affichage en rase campagne avec 240 faces que nous avons sur le réseau routier. Quels sont les autres supports sur lesquels vous êtes présents ? Durant l'année, il y a un certain nombre de rendez-vous qui sont importants. Je fais référence au WTCC, les foires auto-expo, bati expo, les congrès et autres. Nous y sommes présents à travers des stands institutionnels avec de l'animation sur place, selon les spécificités de l'évènement et en fonction de sa thématique. Mais, pour moi, l'éducation routière c'est l'avenir. Elle est l'une des valeurs sûres pour l'amélioration de la sécurité routière dans notre pays. Quand on analyse l'accidentologie au Maroc, il y a le facteur humain qui est prépondérant avec un taux de 80% en tant que facteur causal. Si on veut vraiment améliorer la sécurité routière, il faut être créatif quant à la manière d'encadrer le comportement des usagers de la route. On ne peut pas être uniquement répressifs parce qu'on peut encadrer le comportement par tout ce qui est contrôle et aménagements adéquats en termes d'infrastructure. Par contre, la marge de manœuvre est très réduite dans ce sens puisqu'il est difficile de changer les habitudes et comportement de quelqu'un qui a 40 ou 50 ans. Là où on peut créer de la valeur ajoutée c'est au niveau des enfants et des jeunes. Si on inculque un accompagnement de qualité à nos enfants avec un système d'éducation adapté à chaque catégorie d'âge et de niveau scolaire, je pense, in fine, que chaque enfant aura un minimum de bagage qui impactera son comportement durant le reste de sa vie. Quelles sont les actions que vous menez dans ce sens ? Nous avons déjà fait beaucoup d'actions mais pour l'instant nous sommes en phase d'élaboration de tout un programme intitulé «Jil assalama». Il comprend un ensemble d'outils pédagogiques adaptés à différentes catégories d'âge et aux spécificités du moment avec en prime un jeu pour un enfant. D'ailleurs, au cours de cette Journée nationale de la sécurité routière nous signons une convention avec la Faculté des sciences de l'éducation pour concevoir des guides de la sécurité routière à distribuer auprès du corps enseignant et des étudiants. Et les professionnels de la route, comment les encadrez-vous ? L'essentiel du trafic est assuré par les professionnels. Là-dessus, nous avons pour objectif de faire intérioriser la sécurité routière au niveau du management interne des entreprises. Il faut pousser les entreprises à développer un label de sécurité routière à travers des formations par exemple. C'est dans cette optique que nous avons lancé un concours pour couronner l'entreprise qui intègre le mieux cette dimension de sécurité routière au niveau de son management interne. A ce titre, on ne vise pas que les sociétés de transport de personnes, on vise également les sociétés de transport de marchandises, de matières dangereuses, et toute autre entreprise qui a une flotte sur les routes. Par contre, on peut constater avec satisfaction qu'il y a une réelle prise de conscience de l'importance de la sécurité routière. Et de plus en plus d'entreprises s'engagent à sponsoriser des événements autour de la sécurité routière.