ALM : Considère-t-on aujourd'hui l'art-thérapie comme une nécessité ou un luxe ? Boushra Benyezza : Si ça ne tenait qu'à moi, l'art-thérapie existerait dans tous les services sans exception. On a prouvé d'ailleurs que l'art-thérapie, la recherche de cette fibre artistique cachée en chacun de nous, calmait l'individu. C'est une grande première étape dans le traitement du patient. Ces ateliers créent-ils des liens entre les malades ? Oui, mais pas de la même façon que dans un environnement normal. Il faut oublier tous les repères que l'on a dehors : jalousie, admiration, émotion, contact… les malades mentaux ne vivent pas ces faits de la même manière. C'est un univers où le comportement humain peut être complètement différent. S'ils sont là c'est parce qu'il y a un excès et une dangerosité de comportement. Quand ils retrouvent un fonctionnement normal, ils peuvent sortir. Ceci dit, si un malade mental ne perçoit pas les choses comme vous, il peut tout de même vous faire croire que c'est le cas. Les hommes et les femmes vivent-ils leur maladie de la même façon ? Il m'arrive de faire des séances mixtes. ça se passe généralement sans surprises. Les femmes, c'est un petit service assez compliqué. C'est plus facile pour moi personnellement d'avoir des hommes dans cet atelier que des femmes. Il y a la maladie mais il y a de la pénibilité également. C'est dur de se l'avouer mais c'est la réalité. En ayant la même pathologie, la femme interagit différemment avec son entourage. Elle vous teste, vous pousse à vos limites, elle peut geindre, enquiquiner, devenir hystérique ou très calme, tout dépend avec qui elle a affaire… En gros, la femme vit sa maladie avec beaucoup de théâtralisation. Cela fait entre autres partie des symptômes. Vos patients peuvent-il bénéficier d'une insertion sociale après traitement ? J'ai réalisé dans le cadre de mes recherches un documentaire dans ce sens. J'ai en effet suivi et filmé pendant une année deux hommes sans domicile fixe (SDF). Les deux étaient schizophrènes. Au terme de l'expérience, et grâce aux bienfaiteurs, une exposition peinture a été organisée chez une galeriste de la place. C'est la seule qui ait accepté d'accueillir deux «malades» dans sa galerie. Les autres restent malheureusement très méfiants et vivent avec beaucoup de préjugés sur la pathologie mentale. Ce qui est intéressant dans tout cela c'est que ces deux patients ont tout vendu. Ils sont aujourd'hui malades, ils prennent leurs traitements mais sont artistes. Ils gagnent leur vie à travers l'art qui, à la base, était pour eux une thérapie. Quand un patient a une fibre artistique, c'est une autre partie de travail qui se développe. Ils ont une place reconnue dans la société grâce à leur art et ça, c'est une fierté pour moi. Pour le reste, nous travaillons sur autre chose. Je leur fais faire des CV et les aide à postuler pour un poste qu'ils pourraient assurer une fois stables. Nous organisons également des séances de théâtre pour leur apprendre à bien se tenir lors d'un entretien. Une fois sortis, comment se débrouillent ces patients ? Malheureusement, l'extérieur est cruel. Il y a beaucoup d'efforts à faire au niveau de la sensibilisation afin de cesser de stigmatiser la maladie mentale. C'est terrible parce qu'on oublie que personne n'en est à l'abri. C'est un parcours de vie. Une fraction qui fait que l'on passe de l'autre côté. Une petite dépression mal soignée peut conduire à un passage à l'acte, ou à un meurtre… La maladie mentale reste quand même un grand tabou chez nous. Ailleurs aussi mais pas au même degré. Je rame pour essayer de montrer que personne n'est à l'abri. Il faut rendre cette maladie humaine.