Plusieurs bouquinistes ont changé de profession. Ils ont remplacé la vente des livres par celle des C.D. D'autres constatent que les nouvelles technologies réduisent le nombre de leurs clients. La guerre du livre et du C.D. fait des ravages chez les revendeurs. Le C.D. prend la place du livre. Les magasins des bouquinistes se sont relookés pour suivre l'air du temps. Ils ont remplacé les vieux rayonnages en bois ou en métal par des étagères d'un même format sur lesquels s'empilent des objets d'une taille unique. L'odeur du plastique a remplacé le parfum du papier. Là où il y avait une lourde table en bois, un ordinateur a pris la place. Cette conversion très inquiétante s'opère sans que personne ne s'en soucie. Le spectacle est pourtant désolant et les chiffres très alarmants. Tous les amoureux du livre connaissent la file de bouquinistes qui fait la fierté du marché aux puces de la Médina de Rabat. Une personne qui n'a pas été à cet endroit depuis près de trois ans sera très surprise de découvrir à la place de trois bouquinistes des vendeurs de C.D. et d'ordinateurs. Elle sera aussi étonnée de voir que cette allée n'est plus celle des bouquinistes. Dans trois magasins, il n'y a plus trace d'un seul livre, et un quatrième est fermé. Que l'on s'imagine un peu ce que cela représente. Dans l'intervalle de quatre ans, le nombre des bouquinistes a baissé de la moitié. Ils étaient huit ; aujourd'hui, ils ne sont plus que quatre. Et si les choses continuent de la sorte, il ne faut pas s'étonner de voir l'allée des bouquinistes se transformer en un lieu de trafic de nouvelles technologies. Plus surprenant encore : les bouquinistes n'ont pas vendu leurs boutiques à un tiers mordu de nouvelles technologies, ils ont retourné leurs vestes. Ils ont converti le livre en CD. Cette conversion s'explique par des raisons strictement financières. Selon Abdellilah Beniouri, un bouquiniste qui tient bon dans cette allée: «Ils changent de métier, parce que l'électronique est plus rentable. Ils ne le font pas par amour du progrès ni quoi que soit. Aujourd'hui le CD se vend bien, ils en vendent. Demain autre chose se vendrait mieux, ils laisseront tomber les CD». La même conversion a failli s'opérer aux puces de Derb Ghalef à Casablanca. Le CD a fait son entrée chez les bouquinistes. Il a occupé la place de certains livres, mais l'occupant a été chassé par une sévère interdiction de vente de CD gravés. Cela dit, si le commerce des CD n'a pas remplacé celui des livres à Derb Ghalef, il l'a privé de plusieurs lecteurs. «Les CD ont cassé le livre. Aujourd'hui personne ne veut acheter une encyclopédie, encombrante et chère, alors qu'il peut l'avoir à 25 DH» s'exclame Zoubid Mekki, un bouquiniste à Derb Ghalef. Et il montre du doigt pour le prouver des dizaines de tomes de l'encyclopédie Universalis qui gisent depuis des mois dans le fond de sa boutique sans trouver acheteur. Le même constat est établi par Hamid El Oiriagli, un bouquiniste aux puces de Akkari à Rabat, «Les C.D. ont réduit de près de 50% mes ventes». Les livres les plus touchés par le C.D. sont les dictionnaires, les encyclopédies, les livres techniques et scientifiques. En clair, nombre de personnes, friandes du progrès scientifique, préfèrent lire un texte sur ordinateur plutôt que de feuilleter un livre. Les jeunes aussi préfèrent le C.D. au livre selon Abdellilah Beniouri. Mais les C.D. qu'ils achètent contiennent peu de savoir. Ce sont les C.D. où sont gravés des jeux, des musiques et des films qu'ils affectionnent. «La jeunesse d'aujourd'hui lit peu. Elle est davantage attirée par les nouvelles technologies» déplore Abdellilah Beniouri, le bouquiniste de Rabat. Il tempère toutefois les craintes de voir le C.D. enterrer le livre. «Rien ne peut remplacer le livre. Les personnes qui ont le vice de la lecture ne peuvent heureusement pas se guérir. Et pour ces gens-là, notre profession vivra».