Ahmed, la trentaine, prétendait pouvoir procurer à des rêveurs de l'Eldorado des visas pour émigrer vers l'Europe. En fait, il ne faisait que leur extorquer de l'argent, avant de s'évanouir dans la nature. Il a été condamné à deux ans de prison. Chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Casablanca-Anfa. La salle d'audience, n°4, est archicomble au point que les policiers qui veillent sur l'ordre ont commencé à empêcher l'assistance d'y accéder. Le tribunal a appelé déjà des suspects à la barre. Toutefois, il a reporté leurs dossiers sur demande des avocats de la défense et ce pour leur permettre de préparer leurs plaidoiries. Le dossier d'Ahmed est prêt à être examiné. Il a été déjà reporté à deux reprises. La première pour la préparation des plaidoiries et la deuxième pour la convocation des témoins. “Tu es accusé d'escroquerie“, lui lance le président du tribunal. Ahmed a levé les yeux pour se disculper catégoriquement. “Non, Monsieur le président…Je ne connais pas ces personnes qui m'accusent“, a-t-il répondu d'un ton sec. Mais pourquoi le mettent-ils, lui, en cause, et pas quelqu'un d'autre ? Veulent-ils tous se venger de lui ? Qui a raison et qui a tort, lui ou les témoins ? «C'est lui, Monsieur le président!», affirme le premier témoin, auquel Ahmed aurait extorqué la somme de 30.000 dirhams. Il l'avait croisé, selon ses dires, dans un café du centre-ville, précisant au tribunal qu'ils avaient engagé une conversation concernant l'immigration. Le jeune homme n'avait pas hésité à lui exprimer son désir d'y aller par n'importe quel moyen. “Je vais t'aider à émigrer de manière légale et non pas clandestinement“, lui avait-il précisé. Le jeune rêveur de l'Eldorado qui se débrouillait comme il pouvait pour gagner sa vie et aider sa famille s'est contenté de lui demander le prix qu'il lui avait remis sans arriver à son objectif. “Me voilà, Monsieur le président en train de rembourser l'argent que j'avais emprunté chez mes proches“, conclut le premier témoin avant de céder la parole à la deuxième victime. Cette dernière est une dame de trente-six ans, niveau primaire, chômeuse depuis longtemps après avoir passé quelques années dans une société de confection qui avait déposé son bilan. Elle a expliqué au tribunal qu'elle avait fait la connaissance d'Ahmed par le biais d'une de ses amies. Cette dernière lui a affirmé qu'Ahmed était en relation avec un cadre travaillant au consulat de France, à Casablanca et qu'il pouvait lui procurer un visa sans problème. Son amie avait cru aux paroles de son amant, Ahmed. Elle ne s'imaginait pas qu'il lui racontait des bobards, surtout qu'il lui avait affirmé être un fonctionnaire de l'Etat, sans donner d'autre précision. Elle lui avait remis la somme de 10.000 dirhams en attendant qu'il lui prépare le visa pour lui donner le reste, à savoir 20.000 dirhams supplémentaires. Seulement, précise-t-elle, il n'a plus donné signe de vie ni à elle ni à son amie. Ahmed utilisait le même procédé avec toutes ses victimes, dont une dizaine ont été identifiées par les enquêteurs. Il les croisait le plus souvent dans des cafés pour engager avec elles une conversation portant sur l'émigration. Une conversation qui finissait invariablement par la proposition de l'obtention d'un visa Shengen. Et il commençait à empocher les 10.000 dirhams qu'il dilapidait dans les boîtes de nuits, à boire et à s'amuser avec les filles de joie. Toutefois, quand Ahmed a été interrogé par le tribunal, il a continué à nier les charges retenues contre lui. “Pourquoi les plaignants n'ont-ils pas choisi une autre personne ?“, lui demande le président du tribunal. Pour toute réponse, le jeune, âgé de trente-quatre ans, sans antécédents judiciaires, célibataire et sans profession s'est contenté de faire une grimace. Prenant la parole, son avocat a précisé qu'Ahmed est un jeune homme qui a des ambitions et des rêves, et qu'il ignorait pour quelles raisons ses “adversaires“ avaient l'intention de lui nuire. Il a expliqué dans sa plaidoirie que le suspect n'a jamais promis quoi que ce soit à personne et s'est interrogé sur les circonstances qui ont incité les plaignants à pointer un index accusateur sur Ahmed qui jouit, selon son défenseur, d'une bonne réputation. Il en a donné pour preuve le fait qu'il n'ait jamais été mouillé dans une affaire louche. Il a affirmé également que son client n'a jamais été au chômage, qu'il commerçait dans les biens d'occasion au Souk Koréa. Cette activité, a-t-il ajouté, le faisait vivre convenablement au point qu'il ne voulait plus travailler chez un patron pour un salaire de misère. Prenant la parole, le substitut du procureur du Roi a mis Ahmed en cause en expliquant que les victimes n'avaient aucun d'intérêt à l'accuser. Il a ajouté lors de son réquisitoire que le suspect est un escroc professionnel, qui a essayé de se disculper en se présentant comme un innocent. A la fin de son réquisitoire, le substitut du procureur du Roi a requis une peine exemplaire contre Ahmed. Après délibérations, le tribunal a jugé Ahmed coupable d'escroquerie, tout en prenant en compte les circonstances atténuantes pour le condamner à deux ans de prison ferme.