Il fut un temps où les ménagères se regroupaient entre elles pour préparer les mets d'une occasion ou d'une autre. La veille du Ramadan était un moment de retrouvailles pour plus d'une femme. Mamans, filles, belles-filles, tantes, cousines et même voisines s'organisaient en chaîne productive pour la préparation de Chebakia, Sellou, Briouates ou autres «chhiwates» qui ornent la table marocaine en ce mois sacré. Autrefois, les recettes se gravaient sur des cahiers ou petits carnets. Leur partage se faisait en démonstration directe pour que chaque femme acquière les techniques de préparation, déguste et améliore les composantes. Or, de nos jours, les habitudes ont connu un grand chamboulement. Le boom technologique a fait en sorte que la cuisine s'adapte aussi au monde virtuel. Les recettes sont désormais, répertoriées soit en vidéo ou en capture d'écran. L'échange se fait, pour sa part, sur les réseaux sociaux permettant aux férues de la cuisine d'ici et d'ailleurs de présenter leurs plats et en dévoiler les secrets de réussite. Les cordons-bleus de facebook Rien que sur facebook on peut compter au-delà de 6 groupes phares marocains de partage de recettes. Le concept étant de prendre en photo le plat tout en illustrant toutes les étapes de préparation et mettre en commentaire les détails de la recette. L'idée a émergé il y a plus d'un an déjà, mais avec l'avènement de ce mois sacré, Les cordons-bleus de facebook explosent les partages. Une forte concurrence s'est installée entre les membres (des femmes tous âges confondus). Elles se sont empressées de poster leurs préparatifs des semaines avant le début du mois sacré. Et à quelques heures de la rupture du jeûne, le marathon «gustatif» démarre. Les membres actives, dans un esprit de m'as-tu-vu, présentent leurs tables inspirant les autres en termes de dressage et de présentation. «C'est original dans la mesure où nous disposons d'un espace qui nous permet d'échanger nos idées. La cuisine a longtemps été l'occupation majeure de la gent féminine. Les réseaux sociaux ont permis, en quelque sorte, de donner un nouveau souffle à cette passion», nous confie l'une des fidèles des groupes de cuisine sur les réseaux sociaux. Un avis largement partagé. Samira en témoigne : «Personnellement je trouve que cette expérience est enrichissante. Elle m'a motivé à faire mes preuves dans le monde culinaire. Je suis passée d'une consommatrice gourmande à un véritable chef cuistot». Et de préciser : «Etant récemment mariée, les groupes de cuisines me facilitent la tâche. En manque d'inspiration, je cours illico sur les murs des groupes pour choisir le menu du jour». Conscientes de l'utilité de leurs groupes, les administratrices des pages de cuisines optent pour l'innovation. Au lieu de laisser disparaître les recettes au fil des postes, elles les répertorient, désormais, en introduisant des hashtags (#) portant le nom de la recette et de celle qui l'a postée en vue d'assurer plus de traçabilité et d'accessibilité. Révolution culinaire online Les groupes de cuisine ont révolutionné les habitudes des marocaines. Au-delà des recettes internationales, ces petites cuisines virtuelles ont mis en relief de nouveaux ingrédients et ustensiles. La part belle a été donnée à la pâtisserie. De nouvelles composantes sont entrées en force dans les foyers marocains. Citons dans ce sens la pâte à sucre qui du cake américain a atterri sur le cake marocain sans oublier la feuilletine et la gélatine. Les gâteaux personnalisés sont désormais à la portée de tous les membres. Cette révolution est sortie du monde virtuel pour atteindre les marchés de la cuisine. Derb Omar à Casablanca reflète concrètement cette tendance. Les épiciers et vendeurs d'ustensiles confirment ce changement. «Ces deux dernières années, nous avons remarqué un grand engouement pour quelques produits comme les emporte-pièces, moules personnalisés, colorants, pâte à sucre… des éléments qui autrefois étaient limités aux professionnels du secteur», nous explique Ahmed. Et d'ajouter : «Des fois je recevais une dizaine de clientes qui en une seule journée demandaient la même chose. Ce n'est qu'après que j'ai su que c'était, en fait, un phénomène de groupes de cuisines sur Internet qui rythmaient l'offre et la demande. Ils font, non seulement, le bonheur des «hadgates» , mais également notre bonheur, nous les revendeurs de produits de cuisines». D'une simple follower à une businesswoman Les groupes de cuisines sont une réelle aubaine pour leurs membres. Elles sont nombreuses à constituer un portefeuille client de cet espace et proposer en contrepartie leurs services culinaires. Ces femmes ont développé une activité plutôt fructueuse. C'est le cas de Laila, qui après avoir longtemps chômé, a décidé de devenir une femme active. «Ces groupes m'ont encouragée à faire de ma passion un métier. Au fur et à mesure que je partageais mes recettes, des membres ont commencé à me solliciter pour des conseils et de plus en plus pour de petites commandes. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de me convertir en petit traiteur». Si Laila livre à peine ses connaissances, d'autres sont devenues beaucoup plus autonomes et ont même créé leur propre page de service. D'autres, plus intelligentes, ont aménagé de petits locaux donnant plus de crédibilité à leurs activités. Les réseaux sociaux n'étaient, pour elles, qu'un premier pas. Ainsi, les personnes intéressées découvrent les menus et les tarifs. Et une fois sur place, les deux parties discutent de la commande, des prix et aussi des modalités de livraison. En contrepartie, certains membres ont profité de leur notoriété sur les réseaux sociaux pour organiser à domicile des ateliers de cuisine. Des séances de travail coûtant à tout casser 300 dirhams par personne et dont les retombées sont bénéfiques pour ces chefs en herbe.