Le politologue Mohamed Darif dresse un tableau édifiant autour de la question de la débandade politique qui a marqué les élections communales. Il pense que l'USFP se dirige droit vers l'opposition. ALM : Certains qualifient les élections communales de "mascarade pour la majorité gouvernementale". Qu'en pensez-vous? Mohamed Darif : Tout d'abord, il faut rappeler que ces consultations communales sont les premières du genre sous l'égide de ce gouvernement. Et les partis de la majorité ont occupé les premières places. Les résultats ont été présentés comme une victoire de cette majorité gouvernementale. Par conséquent, le défi premier de Jettou a été de montrer à l'opinion publique nationale que son gouvernement est capable de se concerter et d'agir en groupe lors de l'élection des présidents des conseils communaux. Pour ce faire, Jettou s'est réuni avec les leaders de la majorité pour leur demander de se concerter sur les quatorze villes où l'unité de la ville sera appliquée. Jettou voulait en finir avec le principal reproche fait à son gouvernement, à savoir, son manque d'homogénéité. Mais il s'est avéré que les partis du gouvernement n'ont pas cette approche des choses. Justement, quelle est la vision de ces partis politiques? Les partis ont affirmé qu'ils allaient privilégier les alliances naturelles. Mais cette notion d'alliance naturelle n'a pas été clairement explicitée. Certains ont compris cela comme une coalition des partis de la majorité gouvernementale. D'autres ont préféré y voir uniquement la Koutla démocratique. Cette dernière vision donne un coup dur à la majorité gouvernementale car elle exclut la Mouvance populaire et le RNI. Pire, certains ont estimé que l'alliance naturelle doit être opérée uniquement avec les partis de gauche, excluant ainsi l'Istiqlal. En outre, il y a une absence flagrante de discipline partisane et gouvernementale. Toute cette confusion a conduit la majorité gouvernementale et le gouvernement vers une véritable impasse. Comment expliquez vous cette impasse où se trouve le gouvernement? En fait, il y a trois raisons à cette situation. Tout d'abord, les antagonismes et les hostilités entre l'Istiqlal et l'USFP. Le bras de fer sur le leadership a sérieusement porté atteinte à la majorité gouvernementale. Le cas le plus édifiant est celui de Rabat, où l'Istiqlal a refusé de voter pour le candidat de l'USFP. Deuxièmement, il faut souligner le rôle du PJD dans la dislocation de cette majorité. Tout a commencé par l'élection du maire de Salé. Le PJD a soutenu le candidat MP contre celui de l'Istiqlal. La majorité gouvernementale a reçu ainsi son premier coup. En fait, l'objectif du PJD n'a jamais été d'occuper le maximum de sièges. Son défi premier a été plutôt de se défaire du blocus dont il souffrait et que l'USFP a réussi, au lendemain du 16 mai, à lui instaurer. Aujourd'hui, le PJD est gagnant sur deux tableaux. Non seulement il s'est débarrassé de l'embargo politique qui le frappait, mais il a réussi à le passer à l'USFP qui se retrouve maintenant en minorité. Enfin, la troisième raison de la dislocation de la majorité est inhérente aux luttes intestines au sein de l'USFP. L'aile El Yazghi a perdu la bataille de Rabat. Même chose pour celle de Youssoufi à Casablanca. Nous sommes donc aujourd'hui face à une majorité qui n'a aucun sens. Pourquoi, le gouvernement ne peut pas dépasser ces antagonismes? D'abord, il s'est avéré que le gouvernement a été édifié sur la base d'alliances contre nature. En outre, et c'est le plus important, les défis du gouvernement au moment de sa nomination, les raisons mêmes de son existence, ont complètement disparu après le 16 mai. A l'époque, le problème du Sahara ne se posait pas dans les mêmes termes qu'aujourd'hui, avec le revirement de l'ONU et des Etats-Unis. En outre, en septembre 2002, le Maroc ne connaissait pas le terrorisme. Maintenant, la priorité est au sécuritaire et à l'affaire du Sahara. A votre avis, que faut-il faire pour rectifier le tir? A mon avis, le Maroc va vers la nomination d'un nouveau gouvernement. Celui-ci doit répondre à plusieurs conditions. Tout d'abord, le Premier ministre doit être politique c'est-à-dire appartenant à un parti politique, et non pas un technocrate. Ensuite, le gouvernement doit être composé d'une majorité homogène. Deux options sont applicables. Le Premier ministre peut être istiqlalien, compte tenu du fait que c'est le parti qui a le maximum de sièges au Parlement. Deuxième option: la Mouvance populaire peut aisément prendre la primature car elle représente de loin la plus importante force politique du pays. En tout cas, les déclarations des responsables de l'USFP laissent entendre que leur parti se dirige droit vers l'opposition.