Lorsque l'on parle des choses de la religion dans nos contrées, c'est indéniablement cette particularité marocaine de «modernisme enraciné» qui s'impose à nous à chaque fois. L'expression a été utilisée pour la première fois par Abdenbi Aydoudi, directeur du Centre marocain des valeurs et du modernisme, afin de qualifier l'approche royale dans la réforme du champ religieux. Une approche qui, selon lui, envisage le modernisme comme un «sacré contemporain». Et pour cause, depuis le début de son règne, SM le Roi Mohammed VI, Commandeur des croyants, s'est attelé à mener à terme ce sensible chantier de réforme et de modernisation du religieux via plusieurs leviers qui rivalisent tous d'importance. On y retrouve la «refonte» d'un ministère clé : les habous, mais également l'activation des conseils régionaux des ouléma et la mise en place des délégations régionales et provinciales des affaires islamiques. Autant de fronts de réforme que la nouvelle Constitution est venue compléter. Elle a ainsi consacré le domaine de compétences de Imarat Al-Mouminine en matière de religion, mais également renforcé la représentativité des Oulémas dans différentes institutions de l'Etat. Définir le rôle de la mosquée : Un chantier prioritaire Face à la montée de l'intégrisme religieux et du fondamentalisme, notamment après les attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, il fallait que la mosquée retrouve enfin sa vocation première. Elle ne devait plus évoluer dans l'obscurantisme et l'officieux, mais redevenir un espace d'apprentissage, de mémorisation et de déclamation du Saint Coran, dispensant les leçons habituelles de prédication religieuse. Et pas seulement ! Il fallait lui insuffler également un rôle dans les programmes de lutte contre l'analphabétisme et lui conférer une vision plus «académique» en ce qui concerne la recherche dans les préceptes coraniques, via notamment l'Institut Mohammed VI dont les lauréats sont spécialisés dans la recherche sur le Livre Sacré. Le plan de mise à niveau des mosquées allait aussi revoir la position du Alem vis-à-vis des pratiquants. Ainsi, il s'agissait de préserver le discours religieux de tout dérapage possible tout en renforçant les fondements religieux du Royaume.
Une Charte pour les imams…
Pour renforcer la communication entre les ouléma et préserver l'unité doctrinale de la Oumma, quoi de mieux que d'instaurer une Charte des ouléma (Mitaque Al Oulamae) ? «Ce document a pour but de requalifier les imams et prédicateurs de façon à ce qu'ils puissent faire face aux idées intégristes et préserver le caractère tolérant de l'Islam, religion du juste milieu», ne manque-t-on pas de rappeler auprès du ministère des habous et des affaires islamiques. Récemment, une loi portant sur la laïcisation des imams est en train de voir le jour. A travers cette loi, les imams n'auront désormais plus le droit d'appartenir à un mouvement politique, parti, syndicat, ni de travailler pour une entreprise privée. Une loi qui intéresse beaucoup de pays comme le Bahreïn qui veut s'inspirer de l'exemple marocain pour réformer certains pans de son champ religieux. Enfin, l'augmentation de la dotation financière allouée aux imams des mosquées est révélatrice à plus d'un titre. Elle est passée de 60 millions de dirhams en 2004 à 740 millions de dirhams actuellement, soit une augmentation de 1.130%. Parallèlement, la Fondation Mohammed VI pour la promotion des œuvres sociales des préposés religieux propose désormais certains services sociaux pour les imams, entres autres, la couverture médicale.
Ministère des habous : Une refonte providentielle ! Le chantier le plus important dans cette mise à niveau du champ religieux est sans conteste la réforme du ministère des habous et des affaires islamiques. Un ministère qui, depuis 1955, veille à l'organisation administrative du champ religieux au Maroc, mais dont la gestion et l'organigramme, trop obsolètes, devaient subir en urgence un coup de jeune. Le nouveau code des habous subira ainsi une profonde refonte. Parmi les amendements prévus par la nouvelle mouture qui était restée en préparation depuis 2004 avant d'être approuvée en 2010, la question sur l'immatriculation des biens, mais également le renforcement des droits commerciaux du ministère qui reste, avant tout, un investisseur qui privilégie aussi la notion de rentabilité. Ainsi, les locaux commerciaux, propriété des habous, qui étaient auparavant loués à des prix dérisoires, devaient devenir plus rentables. «Près de 40% des biens Habous demeuraient loués à des petits commerçants qui ont profité, jusqu'en 2003, de prix de loyers qui n'étaient guère alignés sur ceux du marché», affirme-t-on auprès du ministère. Le nouveau code s'inspire du dahir du 24 mai 1955 relatif aux baux commerciaux et veut faire du ministère des habous un investisseur à part entière. Ce nouveau texte intervenait donc après une importante refonte juridique qui avait touché l'organigramme du ministère ainsi que ses modes d'intervention. Fatwas : Fini les imbroglios… Autre volet stratégique, celui des fatwas. Pour remédier à ce sensible chantier, l'action royale fut claire. Il fallait «officialiser» les fatwas et les uniformiser afin de couper net aux différents amalgames «islamicides», nés d'interprétations trop personnelles de l'Islam. Pour y parvenir, le Conseil supérieur des ouléma s'était alloué cette lourde tâche. Il est désormais devenu «la seule institution autorisée à émettre des fatwas, à trancher toute question et décider à quel point elle est conforme avec les principes de la religion et de la jurisprudence, à l'instar du Conseil constitutionnel, le seul habilité à trancher la constitutionnalité des lois», indique-t-on auprès du ministère des habous. Et d'ajouter que «les gens ont le droit de donner leur avis sur différentes questions qu'elles soient religieuses, politiques, économiques ou sociales. Ces avis doivent rester toutefois de simples opinions personnelles». Des instances pour «canaliser» les fatwas… Le principe de concertation est très important en Islam. Le ministère des habous, avant d'édicter une fatwa, collecte l'avis de plusieurs instances. Parmi celles-ci, on retrouve celle chargée de l'iftâa. Elle est constituée de 15 Alems et avait permis à maintes reprises d'organiser l'émission des fatwas en considération de la réalité et des intérêts de la Nation. Idem pour la Rabita Mohammadia des ouléma, cette institution qui joue un rôle prépondérant dans la recherche sur la doctrine achaârite, le fiqh malikite et le soufisme sunnite, a changé de nom et s'attelle de plus en plus à contribuer au renouveau du patrimoine culturel, soufi et spirituel marocain. A côté, Dar El Hadith El Hassania est érigée en un véritable institut au cursus moderne, pour former des ouléma offrant une vision plus «dans l'air du temps» et plus moderniste. D'autres institutions ont également contribué à ce vent de renouveau. On retrouve le Centre de formation des imams, des mourchidines et des mourchidates, la Fondation Mohammed VI pour l'édition du Saint Coran, la Fondation Mohammed VI pour la promotion des œuvres sociales des préposés religieux et le système de l'enseignement traditionnel, dont les établissements ont bénéficié d'actions de modernisation et d'organisation, les plaçant au même niveau que les établissements scolaires relevant du ministère de l'Education nationale. Quand les médias se mettent aussi au service du religieux… Cette réforme du champ religieux ne pouvait être achevée sans la mise en place de puissants moyens de communication. A cette fin, deux supports médiatiques ont pu voir le jour, à savoir la Radio Mohammed VI du Saint Coran, mise en place en 2004 et la chaîne Mohammed VI. Avec des émissions reflétant les orientations du Royaume dans le domaine religieux, ces chaînes consacrent une place de choix dans leur grille de programmes à la lecture du Coran et à l'explication et la vulgarisation de ses préceptes. Elles diffusent également des causeries religieuses, des émissions traitant de la famille, de l'éducation et de la société. Elles font la part belle aux interventions des membres du Conseil supérieur des ouléma. Ces derniers animent des émissions sous forme de questions réponses sur des thématiques différentes, apportant ainsi des éclaircissements aux questions des auditeurs. Assurant une diffusion continue, les deux chaînes sont tenues, en vertu de leur cahier des charges, de ne diffuser aucun programme publicitaire. Malgré leur caractère purement religieux, elles consacrent toutefois une partie de leur programmation quotidienne à l'information. Elles se chargent également de retransmettre les discours de SM le Roi, proposent des pièces de théâtre radiophoniques, en plus de séances de prédication et de chants religieux. A côté de la télévision et de la radio, le Royaume a mis en place, durant ces 15 dernières années, des dizaines de sites Internet officiels, mais aussi de nombreuses revues spécialisées. Femmes imams ou discrimination positive ? Sur un autre plan, il fallait reconsidérer le rôle de la femme dans la mise à niveau du champ religieux. «L'institution de femmes ouléma et de mourchidates a eu un impact exponentiel sur la résorption de l'obscurantisme dans les milieux religieux féminins, très difficiles d'accès», indique-t-on auprès du ministère des habous. Dans le discours royal du 30 avril 2004, le Souverain avait rappelé à quel point il était important d'impliquer les femmes ouléma dans les efforts de qualification religieuse et éducative de la société, ouvrant la voie aux femmes pour davantage de présence dans la mosquée, les conseils des ouléma, les institutions concernées et les médias spécialisés. Le programme de formation des femmes ouléma et mourchidates n'est pas anodin. Il a été conçu de manière à prendre en considération et de façon plutôt pédagogique les besoins d'encadrement des mosquées et des imams. Une mission qui suppose aussi de la part des femmes Imams de nombreuses qualités morales de dévouement, de crédibilité et de rectitude. C'est d'ailleurs pourquoi celles-ci sont triées sur le volet lors des concours de sélection avant leur intégration à la formation. Elles auront une action d'envergure à accomplir en faveur des zones rurales et enclavées et pour le confortement du rôle de la mosquée et la valorisation des constantes religieuses et nationales. MRE, Afrique et diplomatie religieuse… En matière de diplomatie religieuse du Maroc, beaucoup de fronts ont été ouverts. Le principal fut la mise en place par SM le Roi Mohammed VI, en septembre 2009, du Conseil européen des ouléma marocains, chargé de veiller à la préservation de l'identité religieuse et culturelle de la communauté marocaine installée en Europe. Ces efforts ont aussi porté sur le renforcement des liens spirituels entre les tariqas et zaouias de la région du Sahel. Cette orientation phare de la diplomatie religieuse du Maroc a été couronnée par la signature d'une convention avec le Mali portant sur la formation de 500 imams maliens. Il faut dire que le Maroc partage un patrimoine spirituel non négligeable depuis près de douze siècles, avec la région du Sahel et de l'Afrique occidentale, notamment la Mauritanie, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Niger. Pour les années à venir et dans ses efforts de rapprochement envers l'Afrique, le Maroc désire encore aller de l'avant dans l'activation de sa diplomatie religieuse et le renforcement de sa présence spirituelle dans les pays du Sahel, afin notamment de faire face aux menaces liées à l'intégrisme.