Ankara a menacé mercredi de geler ses accords militaires avec la France en raison d'une affiche exposée par RSF à Paris, représentant le chef de l'armée turque comme un ennemi de la liberté de la presse. Le ministère turc de la Défense est résolument en colère. Signifiant à son homologue français qu'il pourrait geler les accords qui lient les deux pays dans le cadre de l'OTAN, il a ajouté que l'attaché militaire français avait été convoqué mardi au quartier général de l'armée turque. Requête : retirer immédiatement l'affiche, présentée par Reporters Sans Frontières (RSF), à l'occasion de la journée mondiale de la presse, à une station de métro de Paris. « Il lui a été notifié (...) que l'attitude insultante envers le général (Huseyin) Kivrikoglu devait cesser », a précisé un officiel. L'affaire va même plus loin : l'ambassadeur de France à Ankara, Bernard Garcia, a lui aussi été convoqué au ministère des affaires étrangères, et s'est vu signifier que cette affiche portait atteinte à l'image de la Turquie. Le chef de l'Etat turc, Ahmet Necdet Sezer, a même personnellement « condamné avec regret » l'incident, estimant qu'il montrait que RSF « ne comprenait pas la Turquie ». Côté gouvernement, on est tout aussi furieux : « il y a, quoi qu'il en soit, des tensions dans les relations. Mais pour ce qui est d'un embargo, une décision doit être prise au niveau gouvernemental » a déclaré un responsable. Si l'affiche – inscrite dans une série de huit « prédateurs de la presse » recensés par RSF - est apposée à la station Saint-Lazare depuis le 3 mai dernier, c'est sa reproduction par les journaux turcs qui a fait mouche dès le début de la semaine. Le poster – montrant des passagers en train de marcher sur la photo de Kivrikoglu (le chef des armées) – a indigné la Turquie dont les relations avec la France s'étaient déjà nettement détériorée l'année dernière. En janvier 2001, le parlement français avait en effet adopté un texte de loi reconnaissant le génocide commis en 1915, à l'époque de l'empire ottoman, par les Turcs contre les Arméniens. Reconnaissance qui avait scandalisé Ankara, provoqué le rappel de l'ambassadeur turc en poste à Paris, et gelé les visites officielles. L'organisation a quant à elle tenu à préciser que « les prises de position de RSF recueillent rarement l'assentiment des Etats mis en cause par l'organisation, mais sont étayées par des faits précis sur les atteintes à la liberté de la presse dans ces différents pays (NDLR : 16 pages sur la Turquie dans le Rapport annuel 2002 de RSF) ». RSF « rappelle que plus de 50 représentants de la presse, de toutes tendances, ont comparu devant les tribunaux pour leurs écrits, en 2001, en Turquie ». En 2002, « de nouveaux procès ont été intentés contre des journalistes. L'un d'eux, Erol Özkoray, rédacteur en chef de la revue trimestrielle Idea Politika, doit faire face à au moins trois procès, notamment pour un numéro de la revue ayant accusé l'armée de vouloir freiner le rapprochement de la Turquie avec l'UE. RSF rappelle, par ailleurs, que le Haut Conseil de l'audiovisuel (RTÜK) maintient un contrôle étroit sur les médias audiovisuels ». Selon l'ONG, 60 chaînes de télévision et 50 radios ont été suspendues par RTÜK en 2001. Une radio a écopé d'un an de suspension pour diffusion de musique kurde ou «mise en cause de l'ordre constitutionnel». «Dans ces derniers cas, le RTÜK est souvent saisi par les autorités militaires elles-mêmes » souligne RSF, qui a fait part de ce rapport mercredi au chef d'état major des armées turques lui-même.