Najima Rhozali, secrétaire d'Etat chargée de l'Alphabétisme et de l'Education non formelle, fait le point sur le déroulement de la mission de son département et des dérapages qu'a pu connaître la marche du processus. Entretien. ALM : Où en est le processus d'alphabétisation en ce moment? Najima Rhozali : Je dirais que le bilan est très positif. L'objectif que nous avions fixé en un million de bénéficiaires du programme d'alphabétisation est atteint à plus de 70 %. Plus de 750 000 personnes ont ainsi bénéficié du programme. En plus, pour la première fois au Maroc, les époux permettent spontanément à leurs femmes d'intégrer le processus d'alphabétisation. Ce que je considère comme une révolution des mentalités, sachant qu'il y a quelque temps seulement, un tel fait relevait du miracle. Lorsque nous avons décidé de cibler un million de bénéficiaires, c'était pour donner un grand dynamisme à l'opération, mais nous savions au fond de nous-mêmes que c'était presque irréalisable. A 500 000 bénéficiaires, le résultat aurait été probant. Finalement, le résultat a dépassé nos prévisions, grâce notamment à l'implication et la bonne volonté royale. Ce qui importe en fait, ce n'est pas l'initiation à la lecture et l'écriture, mais de réussir une alphabétisation fonctionnelle qui englobe les notions de civisme, des devoirs et des obligations, pour une citoyenneté complète et réelle. Autrement dit, pour une société qui envisage le décollage économique en vue des changements imposés par la mondialité, il faut que le facteur humain soit qualifié pour être à la hauteur du changement. C'est une forme de lutte contre la pauvreté morale et intellectuelle. C'est pourquoi nous avons besoin de l'apport d'autres intervenants en tant que partenaires. A propos de partenaires, il s'est avéré que certaines associations engagées dans le processus d'alphabétisation ont failli à leur mission prétendue. Que répondez-vous ? Lorsque nous élaborons une stratégie ou un plan de travail, il est excellent sur le papier et suscite même l'étonnement des ONG étrangères, mais sur le terrain, les choses sont tout à fait différentes. Nous avons un sérieux problème au niveau des infrastructures et des moyens financiers. Le bénévolat, si louable qu'il soit, demeure insuffisant. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de partenaires. Quant aux associations qui ont montré une certaine défaillance, le secrétariat d'Etat chargé de l'Alphabétisme et de l'éducation non formelle met immédiatement un terme à la convention établie avec elles. Il s'est avéré en effet que certaines associations considèrent que les subventions de l'Etat constituent une source de revenus. Et à partir de là, ces gens usent de la malversation et portent une grave atteinte à la déontologie et à la sacralité de leur mission. Après une étude réalisée par notre département, seules les associations sérieuses sont maintenues en conventions. Elles nous présentent leurs listes de bénéficiaires que nos services enregistrent pour que nos services informatiques disposent d'une banque de données bien précises. De cette façon, le passeport du département n'est délivré que sur la base de la carte d'identité nationale, pour que les bénéficiaires ne soient pas intégrés à différents programmes (celui du ministère des Habous par exemple) en même temps juste en donnant un faux nom et un faux âge. Par ailleurs, nous avons procédé à la décentralisation du processus, car avant tout était centralisé à la capitale. Et de ce fait, une association qui se trouve à Taounate devait se déplacer à la capitale et attendre son tour pour que son dossier soit étudié et cela prenait énormément de temps. Actuellement et avec la décentralisation, les délégués et les directeurs régionaux sont chargés de la procédure étant donné que le directeur sur place travaille en coordination avec les autorités locales qui connaissent les gens, et par conséquent, le travail devient plus clair et plus facile. Ceci étant, ce travail n'a pas vu le jour uniquement depuis l'événement de notre département. Le processus est lancé depuis des années mais il n'y avait pas de moyen de contrôle. C'est pour cette raison que des personnes bénéficiant du programme d'alphabétisation refaisaient le même programme durant trois saisons, sans avancer. Une vraie perte de temps et d'efforts. Vous avez dit que le résultat était positif mais que vous étiez quand même déçue quelque part. Que vouliez-vous dire ? Ah ! Je sous-entendais le programme relatif aux entreprises dont je ne suis pas satisfaite du tout. Avec un objectif fixé à quelque 15.000 salariés par an, c'est à peine si nous avions atteint les 6.000 !! Et là, il n'y a pas de problème de moyens financiers. Ce sont les patrons qui ne semblent pas convaincus de cette cause, alors qu'ils tablent sur la qualité et l'esprit de la concurrence. Comment une entreprise peut prétendre à ces deux facteurs quand son personnel est analphabète ? Dans ce sens, il est clair que la responsabilité incombe au patronat. Nous avons besoin de l'engagement sérieux des patrons d'entreprises pour l'intérêt général du pays. D'un autre côté, nous avons mis sur pied un autre projet qui sera lancé bientôt, appelé alphabétisation familiale. C'est un concept qui a bien réussi au Canada d'où nous avons emprunté l'idée qui consiste à ce que chaque citoyen soit chargé d'alphabétiser un membre de sa famille. Et nous continuerons de travailler pour une société qualifiée à intégrer l'ère de la mondialisation.