Trois grandes galeries de Rabat ont fait peau neuve pour recevoir le peintre Kacimi. Les œuvres qui y sont exposées montrent plusieurs périodes de l'un des peintres les plus innovateurs et les plus importants du Maroc. «Ceci n'est pas une rétrospective. Ceci est une composition de plusieurs moments de mon expérience».C'est ainsi que le peintre Kacimi parle de l'impressionnante exposition de ses œuvres qui se tient, jusqu'au 8 mai, dans trois lieux à Rabat : la galerie Bab Rouah, la galerie Bab El Kébir et la galerie Mohamed El Fassi. Nouvellement restaurées, ces trois galeries ne pouvaient marquer d'une façon aussi voyante leur réouverture qu'en montrant des tableaux qui convient si vivement l'œil à la fête. Indéniablement, les œuvres qui donnent le meilleur aperçu de la peinture de Kacimi sont celles qui sont exposées à la galerie Bab Rouah. Peintes toutes en dehors du Maroc, Elles se caractérisent par leur grand format. Ces toiles ne sont pas encadrées. Le moindre petit courant d'air les fait bouger. Il ajoute à leur vie débordante un mouvement qui anime d'une façon presque troublante le corps des personnages figurés. Peinture si présente qu'elle traque la surface jusque dans ses extrémités. Kacimi ne laisse même pas une bordure pour supporter le cadre du tableau. De plus, certains tableaux sont littéralement scarifiés : le couteau y entaille des sillons et des formes géométriques, comme le ferait un Africain pour marquer son appartenance à une ethnie. Et cette Afrique, Kacimi le voyageur la connaît très bien. Il y a séjourné maintes fois, y a peut-être appris l'art de récupérer des matériaux jetés dans la rue pour les introduire dans ses tableaux ou en faire les supports de sa peinture – les sacs de ciment en particulier. Kacimi marque aussi l'appartenance de sa peinture à son pays. Plusieurs petits marabouts, placés en haut ou en bas de la toile, agissent à la manière de sceaux qui authentifient ses tableaux. D'un autre côté, la majorité des œuvres de Kacimi ne présentent pas un centre ou un foyer qui centralise leur saisie par l'œil. Le point central qui attache d'abord l'œil, avant de le laisser papillonner dans les entours, n'existe pas. Le centre dans la peinture de Kacimi est partout ou nulle part. Dans sa rage, l'artiste crée en effet un équilibre éclaté. Il ne laisse pas la moindre parcelle vide de matière et de couleurs. Chaque petite surface dans un tableau de Kacimi est un moment de peinture intense. Elle fixe l'attention du spectateur, lui fait suivre les gestes du peintre, impose presque le murmure de son auteur. Ce dernier y est si présent qu'il bondit de la toile. C'est à proprement parler l'œil qui écoute. L'un des rares tableaux à présenter un foyer central dans les œuvres exposées à Bab Rouah est un nu masculin. Nu, puisque dans le fouillis de couleur et de matière, une seule partie anatomique se révèle dans sa morphologie la plus stricte, les parties sexuelles de l'homme. Kacimi a intensifié le traitement de figure de l'homme. Tout s'exacerbe dans ce personnage : couleur, matière, lumière... Il est pourtant débarrassé de tout superflu, dépossédé de toute boursouflure, réduit à son apparence élémentaire – là où il n'est pas possible de limer sans attenter à l'essentiel. Il se tient de surcroît droit comme un «I», attestant cette verticalité chère à Kacimi et qui fait appréhender généralement ses œuvres dans le sens de la hauteur. L'on aura rarement vu autant d'œuvres d'un plasticien dans notre pays. Interrogé sur la fierté qu'il a à tirer de cela, Kacimi répond : «Je suis fier et triste à la fois. Fierté certes , mais je suis en même temps travaillé par toutes les choses que je n'ai pas pu réaliser. Et je ne peux m'empêcher de poser cette question : est-ce que la mort aura le bon goût de me laisser le temps de les faire ?»