Prisonnier de guerre pendant un quart de siècle, le capitaine de l'Armée de l'air marocaine Ali Najab, 61 ans, a besoin de parler. De sa carrière de pilote brisée, de son épouse, universitaire, qui l'a attendu, de sa fille de 28 ans, qu'il n'a pas vu grandir, de sa petite-fille, qu'il n'a pas vu naître, et de sa retraite. Jusqu'au 1er septembre 2003, date de sa libération, Ali Najab faisait partie de ce que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) considère comme étant "les plus vieux prisonniers de guerre du monde". Au total, ce sont quelque 2.500 soldats marocains, capturés au Sahara-occidental entre 1975 et 1991, date du cessez-le-feu conclu sous l'égide de l'ONU, qui ont été gardé en captivité, en violation de toutes les conventions humanitaires, dans les camps des rebelles indépendantistes du polisario installés en territoire algérien. Libérés progressivement depuis 1995, ils sont encore 513 prisonniers du désert malgré les appels répétés du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, à leur "libération totale et inconditionnelle". Libre, Ali Najab veut témoigner. Dans la sobriété mais avec une détermination implacable. Pour "ses 25 ans de vie volée" et pour ses frères d'armes encore retenus dans les dunes algériennes. "Je vis un mélange de bonheur et d'anxiété, il faut réapprendre à vivre", explique le pilote, abattu aux commandes de son chasseur F5 le 10 septembre 1978 au crépuscule. "J'étais en mission de reconnaissance à vue près de Smara, je me suis éjecté quand le deuxième réacteur a pris feu", se souvient-il. Indemne mais en territoire ennemi "à seulement 10 kilomètres de nos unités", l'alors jeune officier, formé aux Etats-Unis et en France, tombe dans les mains des rebelles, soutenus par l'armée algérienne. "J'ai été roué de coups puis transféré et interrogé par quatre officiers algériens à leur quartier général de Tindouf (1.200km au sud-est d'Alger)", témoigne Najab. "Nous avons toujours trouvé les Algériens derrière le rideau du Polisario que l'on devrait nommer « Algérisario »." Commence alors une "longue nuit d'esclavage, de tortures et de mensonges" que l'association France-Libertés, dirigée par Danielle Mitterrand, avait dénoncée dans un rapport accablant pour le polisario et l'Algérie, qualifiée de "puissance hébergeante", publié en septembre 2003. Najab assure avoir "vu de ses yeux" 48 tombes de prisonniers marocains, la plupart exécutés sommairement, après avoir tenté de s'évader. Plus d'une centaine d'entre eux sont morts en détention. "Nous vivions dans la peur. Tous les prisonniers, je dis bien tous, sont détraqués", poursuit le capitaine, confirmant ainsi les conclusions du Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR). Les multiples visites des associations humanitaires ou de la presse internationale, organisées par les autorités de la RASD, autoproclamée et reconnue par une quarantaine d'Etats qui n'ont pour l'heure pas infléchi la détermination du polisario et de l'Algérie à utiliser ces prisonniers comme otages de la résolution de cet interminable conflit "fruit de la guerre froide", selon Ali Najab. "Il fallait créer un monstre pour avaler le Maroc et sa monarchie avec l'aval de l'URSS. L'Algérie, avec son armée et son polisario, devait construire le squelette, la Libye, avec son argent et son pétrole, devait donner les muscles mais ils ont oublié l'âme", analyse le capitaine. Sujet tabou jusqu'à la mort en 1999 du roi Hassan II, "les plus vieux prisonniers de guerre du monde" ont longtemps été accueillis presque clandestinement lors de leur retour au pays. Tenus au devoir de réserve, ces soldats oubliés vivent souvent mal leur retour à "la mère patrie".