L'étude réalisée par un cabinet d'audit sur le fonctionnement des polycliniques de la CNSS lève un voile sur les maux qui ont miné ces unités médicales qui ont englouti plusieurs centaines de milliards. Radioscopie d'un monde en crise. Malades de leur mauvaise gestion, les polycliniques au Maroc ont-elles un avenir resplendissant de santé ? La question est à l'ordre du jour depuis la remise d'une étude au comité de gestion de la CNSS réalisée par le cabinet Eurogroup et Cap Info. La réunion, jeudi dernier, du comité formé des représentants des syndicats et du patronat pour évaluer le rapport a conclu au caractère superficiel du diagnostic. Les partenaires sociaux ont alors demandé un délai supplémentaire pour approfondissement de la question avant qu'elle ne soit soumise aux membres du conseil d'administration de la Caisse. C'est que l'affaire est d'une extrême sensibilité. Les auteurs de l'audit n'y vont pas par quatre chemins. Ils proposent en substance la fermeture de certaines polycliniques jugées inadaptées et de procéder à un redéploiement du personnel médical. Objectif : dépasser le déficit chronique dont souffrent ces unités et en rationaliser la gestion dans l'espoir d'arriver au moins à l'équilibre financier. Le fond de l'air est à la crispation. Les syndicats, notamment l'UMT et la CDT, ne sont pas d'accord surtout avec l'idée qui fait petit à petit son chemin de donner ces polycliniques en gestion déléguée, un concept qui a de plus en plus le vent en poupe au Maroc. Quant au patronat, il a salué l'initiative comme un pas important vers l'instauration de la transparence dans ce monde opaque. Implantées à Casablanca, Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, Settat, Kénitra et El Jadida, les polycliniques gérées par la CNSS sont au nombre de 13. Elles comptent quelque 1200 lits et font travailler près de 2800 personnes dont 350 médecins. Ces unités de soin sont un gouffre financier. Pour fonctionner, elles engloutissent chaque année une subvention de 400 millions de Dhs prélevée sur le régime général de la sécurité sociale et un chiffre d'affaires de 200 millions de Dhs. Près de 80% du budget total est englouti par la masse salariale. Si ce n'est pas un gâchis, cela y ressemble beaucoup. Et pourtant, la décision de création des polycliniques en 1975, prise à l'époque du ministre de la Santé Rahal Rahali, était à la base une belle idée justifiée par les excédents dégagés par les allocations familiales. Mais cette idée noble sera vite dévoyée. La première unité verra le jour en 1979, en l'occurrence celle de Derb Ghallef à Casablanca. Anomalie de taille d'entrée de jeu : les polycliniques qui seront construites au fil des années profiteront à tout le monde, les fonctionnaires en particulier, sauf à ceux pour auxquels elles sont destinées : les affiliés de la CNSS, les travailleurs qui cotisent. C'était prévisible dans un pays où à peine 15% des salariés disposent de la couverture médicale. Mais pourquoi a-t-on malgré tout construit des polycliniques sachant que la majorité des bénéficiaires, faute de mutuelle, n'ont pas les moyens de payer les soins médicaux ? Le bon sens aurait voulu généraliser d'abord l'assurance maladie obligatoire (AMO), qui soit dit en passant est encore au jour d'aujourd'hui à l'état de projet, avant de se lancer dans ce qui ressemblera fatalement à une machine à pomper du fric : plusieurs centaines de milliards de centimes furent dépensés jusqu'ici entre budget de fonctionnement et frais de construction et d'équipement. “ La politique publique n'a pas malheureusement suivi“, explique un responsable. Un autre souligne : “ malgré les problèmes dans lesquels elles se débattent, les polycliniques représentent un acquis inestimable pour la médecine au Maroc“. Or, des dépassements en tout genre ont mis à mal les équilibres de ce réseau médical, dont le statut juridique n'a du reste toujours pas vu le jour, au point de devenir un terrain fertile pour la gabegie : recrutement à tour de bras de médecins qui se sont fonctionnarisés, postes de direction confiés aux blouses blanches et non pas à des gestionnaires spécialisés, absence grave d'optimisation des ressources et de contrôle… En un mot, les polycliniques furent transformées en de véritables baronnies sur fond de clientélisme et de privilèges, financé par l'argent des travailleurs. Depuis sa nomination à la tête de la Caisse, Mounir Chraïbi a eu le mérite de jouer la transparence des chiffres et de dévoiler les véritables maux. Dans son livre noir sur la CNSS, l'UMT explique ce tableau noir par le basculement en 1988 de la CNSS sous la tutelle du ministère de la Santé. Selon la centrale syndicale de Mahjoub Benseddik, cette situation “ a produit un effet chaotique indescriptible. L'état des polycliniques qui naguère suscitait l'admiration s'est effroyablement dégradé. La gabegie s'est installée et généralisée. Absence de procédures, marchés douteux, détournement d'argent et de matériels impunis, recrutements anarchiques, corruption, indiscipline, détournement des patients vers les cabinets privés…“. Mais qui est responsable de cette catastrophe? Qui avait la haute main sur la gestion directe des polycliniques ? Le rapport très attendu de la commission d'enquête sur la CNSS le dira peut-être.