ALM : Votre œuvre est-elle le reflet de votre parcours ? Bouchta El Hayani : Avant mon départ pour Paris, ma palette était dans des couleurs primaires (noir, gris, jaune et rouge…). Puis, à Paris, j'ai côtoyé un ami qui m'a fait découvrir «l'art Africa». J'ai été fasciné par ce minimalisme à travers lequel on pouvait exprimer multiples choses. Sans le vouloir, ma palette a viré vers des couleurs terre (ocre rouge, ocre jaune, argile…). C'est paradoxal ! Ce n'est qu'en quittant l'Afrique, (mon pays) que j'ai pu découvrir «l'art Africa» en plein Occident. Après mon retour au pays, la figure du corps a envahi mon œuvre. Cela correspond à une période liée à plusieurs événements qui m'ont marqué: guerre du Golfe, événements de Casablanca, le terrorisme, les génocides en Afrique, l'immigration clandestine… Que représente donc cette figure du corps qui apparaît dans votre œuvre ? C'est un personnage dénudé, dépouillé. Il n'a ni cheveux ni sexe, ni masque. Je voulais saisir l'Homme. Un homme qui ferme ses yeux et qui médite sur sa condition. Il ferme ses yeux pour mieux voir, mieux se situer. Il est dans un va-et-vient, entre son moi et le monde. Cet homme est, finalement comme l'a dit le critique d'art Hassan Bourkia, me représente. C'est un moi, qui peut-être celui de chacun. Je voulais le libérer, éliminer tous les superflus, les artifices qui lui collent. Vous avez été reconnu depuis vos débuts, comme un artiste-peintre qui ne cède ni aux tendances ni aux théories. Où se situe votre univers ? J'essaie de créer mon petit monde, mon propre univers ; de sortir des sentiers battus. Je me cherche moi-même. J'essaie d'oublier toutes les théories que j'ai étudiées même si forcément, je reste imprégné par mes lectures et mes rencontres. Mais, on ne peint pas qu'avec son cerveau. La peinture n'est pas que cérébrale. Bien sûr, je choisis les couleurs, la matière ou les techniques utilisées. Et puis je me décide de peindre, mais après, tout le reste me dépasse. Une fois que commence un trait, on ne sait pas où il va s'arrêter. Et puis même après qu'on a fini son tableau, il reste son interprétation. Et comme la dit Umberto Eco «l'œuvre est ouverte». L'oeuvre ne se termine qu'une fois il y a lecture (s). Il faut noter que la scène artistique marocaine foisonne. Et dans ce mouvement, j'essaie toujours de prendre du recul. Je poursuis mon petit chemin. Chaque tableau m'emmène vers un autre. Et quand je suis dans une impasse, je vire à autre chose. Mais finalement, je me sens comme cet écrivain qui se dit, à la fin de sa carrière, qu'il a toujours écrit le même livre. Comment avez-vous découvert vos talents picturaux ? J'étais, depuis mon enfance, fasciné par les couleurs et les formes. J'ai eu mon premier contact avec l'art par erreur. À l'école, un instituteur avait dessiné sur le tableau un militaire de profil et a demandé à ce qu'on écrive le nom sur du papier. Le lendemain, je lui ai ramené une feuille remplie de dessins dudit militaire. Il m'a alors dit: «Ah mon petit, tu n'iras pas très loin dans tes études toi». (Rires) A 7ans, je reproduisais fidèlement les affiches de cinéma sur le sol… La peinture me passionne depuis mon jeune âge et jusqu'à aujour'dhui. Dans mon atelier, mon combat avec la toile se transforme en pur plaisir. Un plaisir que je partage avec le public lors de mes expositions. Au fond, je suis toujours resté ce petit enfant.