A Beni Mellal, comme dans toutes les régions du Royaume, les traditions de la célébration de la Fête de l'Aïd Al Adha diffèrent d'une région à une autre. Ici, il faut d'abord faire une distinction entre les vrais habitants de Beni Mellal, «les Mellalis», et ceux qui habitent les régions montagneuses ou qui sont venus d'autres villes comme Ouarzazate, Casablanca, l'Oriental… A Beni Mellal, le mouton est l'animal de boucherie le plus convoité sauf pour ceux qui sont atteints de diabète et qui préfèrent la chèvre en général. Les brebis viennent au troisième rang. Dans les régions de la ville, c'est la chèvre qui l'emporte suivie de la brebis puis le mouton. La viande des chèvres ne contient pas de cholestérol mais quel que soit le choix de l'animal à égorger, le but reste le sacrifice pour tout le monde et les joies de la fête. La majorité des habitants de la région élèvent les moutons et surtout les chèvres pour en vendre quelques unes à l'occasion de l'Aïd ; quant aux gens de la ville, ils en achètent dans des écuries ou les souks hebdomadaires. Quelques jours avant l'Aïd, les préparatifs vont bon train. La plupart des familles de la région, et même celles de la ville, font emplette d'épices (le cumin, le safran… et du sel pour la préparation de la viande séchée). On achète des vêtements neufs pour les enfants mais ce qui préoccupe surtout les pères de familles, ce sont les animaux de boucherie. En ville, la veille de la fête, on fait appel à des filles qui mettent le henné aux mains et aux pieds des filles et des femmes en échange d'argent (50 dhs environ) mais dans les autres régions, ce sont les familles elles –mêmes qui s'occupent de ce rituel entre elles. Le jour de l'Aïd, très tôt, les hommes se réveillent pour accomplir la prière d'Al Fajr au moment où les femmes s'occupent des habits, de la toilette des petits et de la préparation des plats copieux pour le jour de l'Aïd. L'art culinaire mellali est connu pour la richesse de ses plats délicieux et très convoités. Pour le matin, les femmes préparent du pain trempé dans l'huile d'olive, du beurre et surtout du miel, «bouchiar», des gâteaux, du thé, «châria ou barkoukch au lait …». Avant la prière de l'Aïd, les familles et les voisins se rendent visite. On ne voit que des gens propres portant de beaux vêtements parfumés et des visages souriants qui sont prêts à tous les sacrifices. Après l'accomplissement de la prière de l'Aïd sur un terrain vague appelé «Msalla», les fidèles reviennent chez eux pour égorger le mouton. Souvent, c'est le père de famille, aidé de ses fils, qui égorge l'animal sinon on fait appel à un boucher qui le fait à leur place. Au moment où l'on veut égorger le mouton, toute la famille doit être présente sur le lieu. Après, on s'occupe du lavage du sang sur place, avant qu'il ne soit coagulé, des tripes, et on met «la douara», le foie, les poumons et le cœur de l'animal à sécher au moment où on allume un brasero plein de charbon contrées. Quelques moments après, la fumée du «méchoui ou douara» ou les brochettes enveloppe tous les recoins. Tout le monde se réunit autour d'une table pour déguster un verre de thé à la menthe ou à l'absinthe. Pour préparer les brochettes, il est des familles qui mettent le foie, les poumons et le cœur dans des marmites avant de les envelopper dans des morceaux de graisse très fins «chahma» et de les poser sur le feu du brasero au moment où d'autres les mettent directement sur le charbon. La tête de l'animal, ainsi que ses quatre pattes, sont mis sur le feu en vue d'une préparation ultérieure. Les familles, à Beni Mellal, sont très solidaires, on aime toujours se réunir avec les membres de la famille et avec les voisins autour d'une table. On finit par suspendre le mouton à une corde accrochée au toit de la maison. La joie règne partout, les enfants achètent des bonbons et des jouets avec de l'argent que leurs pères ou les voisins leur ont donné à l'occasion de l'Aïd… Le soir, on doit découper «l'épaule» droit du mouton (appelé Magloufa) pour le dîner (il y a des familles qui mangent le couscous la nuit) et mettre la tête de l'animal dans une marmite après l'avoir nettoyée et lui avoir enlevé les cornes. La tête de l'animal doit être consommée le jour suivant au petit déjeuner avec des oignons, du sel et du persil. Avant, les familles désossaient la tête de l'animal, prenaient tous les os, la nuit ou de bonne heure pour les jeter loin de la demeure de peur que celui qui les touche ne soit atteint de la maladie du «cassage». Celle qui se charge d'éloigner les os de la tête du mouton ne doit parler avec personne jusqu'au retour à la maison. Dans quelques régions d'Azilal, il y a encore des familles qui jettent ces os dans des oueds» la nuit. Le matin, la tête du mouton est mangée pendant le petit déjeuner. D'après une vieille femme mellalie, appelée Rabha, il y avait dans la région de Beni Mellal une tribu appelée «Ait Simour qui ne mangeait pas la tête du mouton après l'avoir égorgée. Chaque fois, ces familles étaient obligées de l'échanger contre la tête d'une brebis (car elle n'a pas de cornes). On racontait que des voleurs avaient essayé un jour d'agresser l'un de leurs ancêtres. Mais pour les attaquer, l'homme a trouvé devant lui une corne d'un mouton qui s'est transformée subitement en un coutelas entre ses mains et grâce auquel il avait réussi à chasser les voleurs. Depuis, les «Ait Simour» ne mangeaient pas la tête de tout animal qui porte des cornes. De surcroît, il existe actuellement dans certaines régions des familles qui ne touchent l'animal qu'après trois jours, mais ces traditions commencent à disparaître progressivement. Le deuxième jour de l'Aïd, on rend visite aux familles et aux voisins. Les mariés vont se réunir avec leurs parents s'ils sont encore vivants. En général, les petits vont chez les grands, c'est un genre de respect qui caractérise Beni Mellal et ses régions. Le tagine que l'on prépare pour le manger ensemble, est l'un des plats les plus connus dans cette région. Le jour suivant, le mouton est découpé en morceaux. Nombreux sont les foyers qui préparent ce qu'on appelle «lgadide et lkourdass», ce sont des morceaux de viande trempés dans les épices achetés avant l'Aïd. Ce genre de viande, qui est très délicieux, doit sécher au soleil pendant plusieurs jours. «lgadid» c'est de la viande simple alors que «lkourdass» c'est un mélange de tripes, de morceaux de poumons…qu'on entoure par des morceaux d'intestins grêle de l'animal. C'est une viande que l'on peut garder des mois et des mois car elle est bien salée. Notons que pour avoir des enfants, si on est stérile, il faudrait ramasser chez sept familles différentes sept morceaux de «lgadid ou lkourdass» et les manger et le problème de la stérilité serait résolu. Et pour celui qui bégaye, on dit qu'il faudrait lui faire manger sept langues de mouton et qu'on doit chercher auprès de sept foyers après l'Aïd. Pour ceux qui ont des réfrigérateurs, on y garde la viande qui reste. Rabha, la femme mellalie, ajoute : «Les temps ont changé, mon fils. Révolu le temps des belles traditions. Rares de nos jours, sont les familles qui les respectent mais, louange à Dieu, Beni Mellal et ses régions sont hospitalières. Les régions de Mghila et d'Ouled Said, près de Ouled Ayad de Beni Mellal, étaient connues par ce qu'on appelait (Naga et Nmar), la Chamelle et le tigre (il s'agit d'un homme qui porte des vêtements tachetés de noir comme la peau du tigre et une queue et quatre individus qui portent un grand tissu et qui se déplacent telle une chamelle)». Des hommes, en jouant de la musique, faisaient le tour de quelques régions de Beni Mellal pour ramasser «lgadid et lkourdass». Les jours suivants, ils se réunissaient, à tour de rôle, dans leurs maisons pour manger la viande collectée, le couscous, les tagines et surtout jouer de la musique et écouter (Layta mellalia)…». A Beni Mellal, l'Aid El Kébir est un ensemble de traditions qui changent d'une région à une autre. Mais ce qui reste toujours le même, c'est ce sacrifice, ces joies intenses… qui s'emparent de tous les habitants pendant les jours de l'Aïd.