L'un des ténors du notariat au niveau national aurait détourné des dizaines de millions de dirhams avant de quitter le territoire marocain vers le Canada. Si ce cas a fait couler beaucoup d'encre, il est toutefois loin d'être isolé. En l'espace de six mois un minimum de trois affaires semblables ont éclaté laissant place à plusieurs interrogations au sujet de la profession de notariat et ce, à moins de six semaines de l'ultimatum posé par la loi pour le dépôt de l'ensemble des comptes des notaires auprès de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). En attendant, des millions et des millions de dirhams s'envolent au même titre que la confiance longtemps accordée aux notaires. Comment ces derniers voient-ils les choses ? «Une phase transitoire et un mal nécessaire pour assainir la profession», c'est ainsi que Me Abdellatif Yagou, président du Conseil régional des notaires de Casablanca, décrit la situation actuelle. Selon lui, bien que ces cas restent insignifiants par rapport au nombre de notaires, le mal est bien là. La profession est touchée. Ce que l'on appelle les «brebis galeuses» seraient l'un des effets inévitables d'une réglementation brusque. «Il y a toujours des dégâts latéraux, nous sommes des êtres humains, nous avons nos défaillances. On escompte des choses, des lois et on en obtient d'autres», a-t-il ajouté. En effet, les articles 65 à 71 de la loi 32.09 régissant la profession du notariat imposent un double contrôle sur les notaires. Les procureurs opèrent ainsi des vérifications sur tous les registres des notaires, le parquet vérifie également et à fréquence annuelle les caisses des notaires ainsi que l'état des dépôts. S'ajoutent à cela les conseils régionaux qui agissent de même et exercent des contrôles et des inspections. Ce qu'il faut savoir cependant c'est que l'activité des notaires n'est sous la loupe des procureurs et parquets que depuis un an, ce qui laisserait une petite marge de redressement pour une profession qui a connu ses premiers jours au début du 20ème siècle. «On ne craint pas cela. On sait qu'on va vivre des moments difficiles, mais ce processus va aboutir grâce au soutien des autorités. C'est un délai court, la loi change et la profession change également. Quoi qu'il en soit, cette loi doit être appliquée», précise le président du Conseil régional des notaires de Casablanca. Il est à noter dans ce sens que la loi 32.09 a été élaborée dans des circonstances similaires à celle que l'on vit aujourd'hui. «Dans une même période, c'était un mois de mai et des affaires de détournements avaient éclaté. Il y avait deux ou trois cas à Rabat, suivis par la mise en place d'une réglementation sévère. Ce n'est jamais une solution. On espère que ce même scénario ne se reproduit pas aujourd'hui», ajoute la même source. Depuis les années 2000, le nombre de notaires augmente de manière vertigineuse passant de 200 à 1.600 notaires. Ceux-ci sont tous amenés, d'ici le 25 juillet 2015 à disposer d'un compte chez la CDG et y basculer l'ensemble de leurs fonds. «Avec la mise en place du nouveau système de la CDG, il y a une identification des fonds par personne. À ce moment-là les choses sont devenues claires, s'il y a des trous dans les comptes, ils sont bien visibles», nous apprend Me Yagou. Les circonstances actuelles, amplifiées par la crise, n'aident toutefois pas les notaires à redresser leurs comptes et à faire rouler la machine. Dans ce sens, les notaires appellent à un accompagnement plus effectif par la CDG. «On ne dispose plus des mêmes privilèges auprès des banques, ce n'est plus une relation gagnant-gagnant et donc, il nous est extrêmement difficile de bénéficier de facilités de caisse, octroi des crédits, rachat des crédits ou autres. Il faut accompagner les professionnels et pas uniquement l'Ordre car actuellement, des études ne peuvent plus rouler», confie un notaire de la place. Concrètement aujourd'hui, les notaires n'étant pas en mesure de suivre les changements apportés à l'exercice de leur profession sont «des brebis galeuses» potentielles. Ce qui pose problème, en plus de cela, c'est la question du remboursement des victimes et un fonds de garantie qui peine à être opérationnel. Théoriquement, grâce à ce fonds les clients ne seront indemnisés qu'une fois que le notaire est assigné en justice. Dans ce sens, les notaires demandent à instaurer ce qu'ils appellent la garantie collective. «C'est une sorte d'assurance qui rend responsable toute la profession. La victime doit être immédiatement indemnisée dans un délai de 15 jours. Une fois que l'insolvabilité est constatée, avec retour ou non retour de la mise en demeure du notaire, ce fonds va indemniser le client et se retourner contre le notaire défaillant», explique Abdellatif Yagou. Selon lui, la loi 32-09 entrée en vigueur il y a deux ans déjà souffre de plusieurs lacunes. Chose qui n'est pas sans céder place à un déséquilibre dans l'exercice du notariat.