Sous les effluves lyriques de Sidi Abderrahmane El Mejdoub, de Mahmoud Darwich ou du metteur en scène Jaouad Essounani, s'est réincarnée mercredi 15 et jeudi 16 avril sur la scène du Théâtre Mohammed VI à Oujda la vie de Yettou. Une jeune cheikha de l'Atlas tantôt respectée, tantôt désirée et très souvent maltraitée. Avec une expression corporelle des plus attachantes, les circassiens de l'école Shems'y, en compagnie des comédiens de Dabateatr nous ont exprimé les bas et ébats d'une société qui s'avère être tout sauf clémente envers cette jeune femme, envers la femme. Les habitants de la capitale de l'Oriental se vantent depuis peu d'avoir ce qu'ils estiment être l'un des meilleurs théâtres dans la région. Seulement voilà, la réconciliation avec ce genre de lieux reste difficile à accomplir d'autant plus que l'offre fait défaut. C'est en tout cas ce que nous confirme, quelque temps avant le spectacle, un responsable de la wilaya de la ville. Selon lui, «Oujda est une ville assoiffée de culture. Toutefois, l'offre est malheureusement très médiocre. Recevoir une représentation de cette qualité ne peut que nous réjouir et pourquoi pas, faire découvrir aux Oujdis ce beau lieu». Le pari est plus que gagné. Devant une salle presque comble, la compagnie Dabateatr et les jeunes du cirque Shems'y ont interprété l'histoire triste et surtout miroir d'une vérité indéniable ; celle d'une cheikha du Moyen-Atlas dénommée Yettou. Avec la moralisation de plus en plus accentuée de la société marocaine, être cheikha peut être synonyme de plusieurs étiquettes. Femme affichant des pensées libertaires sur l'amour, femme à forte personnalité mais également femme aux mœurs légères, une cheikha bien qu'elle fasse vivre et bien qu'elle vive d'un patrimoine que l'on affiche avec fierté, reste peu considérée. C'est à ce dernier aspect que s'est intéressé Jaouad Essounani, un metteur en scène qui collabore avec l'école nationale de cirque Shems'y depuis six années déjà. «Plus que le statut de la femme, ce que je veux explorer dans Yettou c'est l'homme en majuscule et minuscule, ce sont ses envies et frustrations face à un corps de femme libre, victime d'oppression sociale certes, mais capable de soumettre ses oppresseurs à son tour», explique-t-il. A travers cette réflexion, l'on découvre la vie d'une cheikha qui, comme la décrit-on, «passe ses jours à se débrouiller des bricoles et ses nuits à amuser la soif des noctambules». Tant qu'elle se sent reine, ne serait-ce que par moments, Yettou s'en fout car elle le sait, la vie d'une soumise l'a toujours poursuivie. Bien que le sujet soit, il faut le dire, assez lourd en sens et que certains ne peuvent s'empêcher de voir une certaine violence dans son interprétation, on n'aurait pu apprécier cette œuvre autrement. Connaissant la signature du metteur en scène, il serait difficile de se laisser emporter, comme l'a fait le public, sous une réalité enveloppée. Ceci dit, enfants comme adultes, chacun a trouvé son compte dans le jeu, le récit ou encore la musique de cette œuvre. «De Yettou, un humble salut, un grand merci et un grand pardon aux femmes !», conclut Jaouad Essounani.