Il est très difficile de croire qu'au lieu de céder aux désirs d'une femme qui s'offre à vous, on prend le parti de l'égorger. C'est pourtant ce que tente de faire croire Ibrahima aux enquêteurs à propos de l'assassinat de Fattouma, une Malienne qui vivait à Casablanca avec son mari. Le chef de la brigade criminelle de la police judiciaire de Hay Hassani-Aïn Chok arpente le bureau, tire sur sa cigarette, garde le mutisme quelques secondes avant d'éclater : «Mais, enfin ! C'est absurde ce que vous me racontez là !… Au lieu de céder à ses avances, vous l'égorgez ? C'est inconcevable ! Personne ne peut vous croire…Vous devez dire la vérité!». Mais la loi étant la loi, il s'adresse à l'inspecteur de police attablé devant la machine à écrire, pour lui demander de consigner les déclarations d'Ibrahima Kanora avec probité. Ibrahima est un ressortissant sénégalais de trente-six ans. «Je ne suis pas un immigrant clandestin, je suis entré légalement au Maroc, le samedi 29 septembre 2001…», précise-t-il à l'inspecteur qui rédige le procès-verbal. Fattouma Diabate, une Malienne de vingt-cinq ans, vient juste de célébrer ses noces avant de regagner le Maroc, presque à la même période qu'Ibrahima. Le couple et Ibrahima ne se connaissaient pas et pourtant leur objectif est le même. Ils avaient l'intention de faire du commerce entre le Maroc et leurs pays respectifs. Le hasard fait, parfois, bien les choses mais d'autres fois c'est le contraire. La première rencontre entre Ibrahima et le mari de Fattouma dans un café casablancais était le fruit d'un pur hasard. -«Je fais du commerce entre le Mali et le Maroc…et «L'hamdou Lillah», je m'en sors pas trop mal, puisque je me sens, actuellement, très à l'aise avec ma femme…». -«Je m'adonne également au commerce, mais entre le Sénégal et le Maroc… pour l'instant, ça ne va pas trop mal, mais maintenant, je pense à monter un projet commercial très important…J'occupe seul un appartement au quartier El Oulfa…et suis encore célibataire…». Les deux hommes conviennent de se rencontrer de temps en temps pour mettre en place les grandes lignes d'un projet commun et des perspectives qui en découlent. Toutefois, au fil des rencontres et des conversations, le mari de Fattouma déduit qu'Ibrahima a l'intention de l'escroquer et il commence à l'éviter. Leurs chemins finissent pourtant par se croiser en novembre 2001, en plein mois de ramadan. «Où étais-tu ? Je ne t'ai pas vu depuis longtemps et l'on n'a rien fait de notre projet…». «J'avais quelques problèmes…», prétend le Malien, qui l'invite chez lui pour la rupture du jeûne. Ibrahima accepte l'invitation, et l'accompagne dans son appartement du quartier El Oulfa. Fattouma a bien accueilli Ibrahima, elle a préparé des plats marocains et maliens. Ibrahima était heureux. Ils ont passé une belle soirée de ramadan. Les contacts ont repris entre Ibrahima et le mari de Fattouma. «Fattouma a commencé à m'appeler sur mon portable…», affirme Ibrahima aux enquêteurs. Comment a-t-elle pu avoir son numéro ? Il ne donne pas d'explication. Mardi 5 mars 2002. 17h00. Quelqu'un frappe à la porte. Fattouma ouvre. Ibrahima est devant elle: «Assalamou Alaykoum, ton mari est là?» «Non, mais entre, il viendra dans un instant». Ibrahima entre. Fattouma n'est vêtue que d'une gandoura. Elle se tient, provoquante, devant Ibrahima, lui offre son corps... Ibrahima refuse. Fattouma rentre dans la cuisine prend un petit couteau, et le menace, tente de l'obliger de faire l'amour avec elle. Il refuse encore, lui arrache le couteau. Fattouma tombe à terre. Ibrahima l'égorge. Il referme la porte et s'en va. C'est en tous cas, la version des faits qu'il donne. «Pensez-vous qu'on vous croira ? … C'est vraiment fou !, lui dit l'inspecteur qui a rédigé le rapport et qui le lui donne à signer. Le dimanche 10 mars, la police de la brigade criminelle remet Ibrahima entre les mains du juge d'instruction près la Cour d'Appel de Casablanca qui l'a mis en état d'arrestation pour homicide volontaire avec préméditation.