«Consommez toujours plus. Gavez-vous : la croissance dépend de votre boulimie». Voilà le mot d'ordre que les politiques, les industriels et les publicitaires assènent quotidiennement aux citoyens que nous sommes. Certes, notre boulimie crée de la croissance. Mais à quel coût ? La consommation abusive des énergies fossiles (pétrole en particulier) n'engendre-t-elle pas la guerre? Celle de l'Irak est signifiante. N'accélère-t-on pas la dégradation de la planète? Les exemples ne manquent pas. La production du bois par l'abattage anarchique des forêts a entraîné la déforestation, avec son lot de conséquences néfastes sur la population et le climat : réchauffement de la Terre, déplacement et appauvrissement de la population. 9 millions d'hectares de forêts disparaissent tous les ans dans le monde, dont 5,3 millions pour l'Afrique. Le taux performant de la croissance économique de la Chine (9%) est le résultat d'une forte utilisation d'énergie à base de charbon, productrice de gaz à effet de serre ( 4967 millions de tonnes d'équivalent CO2). Les chiffres de l'économie américaine du dernier trimestre 2003 montrent l'ampleur de la crise et de l'inconscience des libéraux : +8% de croissance en émettant plus de gaz à effet de serre (6936 millions de tonnes d'équivalent CO2 en 2001), plaçant les USA au 1er rang mondial des pollueurs, sans incidence ni sur l'emploi (-0,5%) ni sur le déficit record de 489 milliards de dollars pour 2003. La consommation, source de la croissance, est par nature synonyme de destruction et d'épuisement des ressources et d'achèvement des biens. Après des décennies de gaspillage frénétique, nous sommes en pleine tempête: dérèglement climatique (canicule, inondations, fonte des glaciers, montée du niveau des mers..), guerre du pétrole et bientôt guerre de l'eau. Dans ces conditions, la société de croissance n'est pas souhaitable puisqu'elle n'est ni conviviale ni sereine. Elle pèse sur l'environnement et sur l'homme. Les charges qu'elle crée n'apportent aucune satisfaction. Prenons des cas concrets. L'exemple d'un embouteillage au centre de Casablanca, ville dépourvue de plan de déplacements urbain, illustre bien que l'acte de circuler procure davantage de croissance mais que ses conséquences sont désastreuses pour la population. Les véhicules à l'arrêt, par exemple, consomment du carburant, de qualité médiocre, très polluant. Economiquement, ils font de la croissance. Car dans cette croissance, il y a dépense, matérialisée ici par la consommation d'énergie. Sur le plan de la santé, l'embouteillage crée du stress chez les automobilistes, qui de plus augmente les risques d'accidents de la route (coût énorme pour la société). Les oxydes de carbone rejetés par les véhicules qui font du surplace polluent l'air et nuisent aux personnes résidantes et passantes lesquelles, en respirant l'air pollué quotidiennement, finissent par être atteintes de maladies incurables (asthme, cancer). Nouveau coût médical. Nous dirons tous «Ce n'est pas grave. Nous irons consulter un médecin qui nous prescrira des médicaments». Cette initiative d'apparence salvatrice, engendre de nouvelles dépenses. De nouveau, il y a croissance. Malheureusement, le cycle des dépenses ne s'arrête pas là. Les façades des bâtiments avoisinant l'embouteillage noircies par les rejets de CO2 dégagés par les véhicules, nécessitent des ravalements. Si nous prenons l'exemple de l'eau, source de notre vie, plus elle est rare, plus elle est chère ; plus elle est polluée, plus elle intéresse les sociétés multinationales. La rareté qui crée la rente financière engendre la croissance. L'eau qui est un droit pour tous comme l'air qu'on respire devient un produit marchand monnayable. L'exemple des ordures obéit aussi à la même philosophie: plus la ville est sale, plus les ordures s'accumulent, plus les sociétés privées s'intéressent à leur collecte et à leur gestion. De nouvelles dépenses qui alimentent la bulle de la croissance. Actuellement, le développement productiviste que nous connaissons, fondé sur le mythe de la croissance et de la recherche du profit immédiat, est la source de notre crise sociale et écologique. Toutes ces dépenses supplémentaires font de la croissance, mais en même temps provoquent des dégâts coûteux pour la société. Un certain critique a dit que « celui qui pense qu'une telle croissance peut continuer infiniment dans un monde fini est un fou ou un économiste». Alors dans ces conditions, comment assurer notre développement? Une réponse simpliste: pas n'importe comment ! Un écologiste réaliste dira oui à la croissance, mais dans le cadre d'un développement durable, voire soutenable. N'est-il pas préférable de faire nos courses, comme le faisaient nos parents ou nos grand-parents pour certains, en utilisant des paniers au lieu des sacs en plastique qui polluent nos campagnes et nos villes ? En termes économiques ou comptables, l'utilisation des paniers procure plus de croissance que celle des sacs en plastique. En effet, la production des paniers profitent directement à nos artisans-paysans. Leur fabrication contient plus de valeur ajoutée que celle des sacs en plastique. La matière première utilisée est végétale et locale, alors que pour les sacs en plastique, ce sont des matières chimiques importées. Sur le plan environnement, leur absorption malencontreuse par nos animaux domestiques participe largement à la diminution des cheptels marocains. D'autre part, la pollution visuelle engendrée par ces sacs a des effets négatifs sur notre industrie touristique, principale ressource du Maroc. Ainsi, il devient clair que pour obtenir une croissance qui allie protection de l'environnement et développement, il faut orienter le marché. Acheter par exemple des paniers et des éco-recharges. La bonne croissance, c'est acheter localement et autrement. A l'origine, la conférence de Rio (Brésil) en 1992 avait défini le développement durable comme «une satisfaction des besoins des générations présentes en préservant les ressources de la planète pour les générations futures». Aujourd'hui, à cette dimension écologique s'ajoute une dimension sociale. Pour cela, nous voulons que la croissance économique respecte l'équité sociale aux niveaux national et international (relations Nord – Sud). Du fait que la croissance, telle qu'elle est envisagée actuellement, reste un concept économique et comptable, elle intègre dans son contenu la destruction du patrimoine (ressources naturelles) et les inégalités sociales. Moralité: cette course à la consommation ne pourra en aucune façon nous assurer un développement durable. Dommage d'avoir si vite oublié que la conférence de Stockholm de 1972 avait déjà soulevé la nécessité de maîtriser la croissance… Il est peut-être encore temps ! Mohamed Bokhamy Consultant international écologiste