Professeur de droit à l'ENA et membre de l'Institut international des droits de l'Homme de Strasbourg, Aïcha Belqaïd estime que le rôle de la femme «doit être mieux reconnu, davantage valorisé et soutenu par des actions concrètes, visibles et lisibles». C'est aujourd'hui bel et bien établi: la condition de la femme est l'indicateur le plus significatif sans doute du degré de développement d'un pays. Des indicateurs ont même été identifiés à ce sujet. Naguère, ils se limitaient pratiquement à combiner les paramètres du pouvoir d'achat réel, de l'enseignement et de la santé – ce n'était point suffisant. Alors, le concept de «Développement humain» a dû prendre en charge et inclure de nouvelles conditions telles que la liberté politique, économique ou sociale ou le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans cette perspective, ce qui est à l'ordre du jour c'est rien de moins que la nécessité d'intégrer l'action des femmes dans le processus de développement. Comment ? Par la reconnaissance de leurs droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques. Il faut être juste. Le bon cap a été pris dès le départ : ainsi, dès la première Constitution du Maroc indépendant, Feu S.M. Hassan II avait fait consacrer l'égalité des droits politiques de l'homme et de la femme dans les dispositions de l'article 8 de la loi suprême. Quatre ans auparavant, le droit de vote pour tous avait été institué; le droit de vote qui sera d'ailleurs exercé pour la première fois en mai 1960 à l'occasion des élections communales. D'autres avancées doivent être enregistrées en 1992-1993. Ainsi le préambule de la Constitution de 1992 «réaffirme son attachement aux droits de l'Homme tels qu'universellement reconnus». Encore, une révision de la Moudouana intervient en 1993; sans oublier la ratification par le Maroc; le 21 juin 1993, de la convention relative à l'élimination de toutes les discriminations à l'égard de la femme. Au total, durant la dernière décennie, le Maroc a opéré une véritable mise à niveau tant par l'adhésion aux conventions internationales portant sur les droits des femmes que par l'adoption de la plate-forme de Beijing. Il reste cependant la question de l'effectivité de ces droits. Avec la «nouvelle ère», S.M. le Roi Mohammed VI a tenu, dès le départ, à donner des signes forts dans ce grand chantier de la solidarité sociale qui doit bénéficier aux couches défavorisées et exclue de la population, dont les femmes constituent encore de larges pans. Là encore, si la vision a été clairement cadrée, il reste à la traduire en termes mobilisateurs et opératoires. La révolution sociale que traduit le nouveau code de la famille, dont le projet avait été présenté au Parlement, le 10 octobre dernier, participe à cette démarche résolument réformatrice. Aujourd'hui, ce texte qui a été adopté par l'organe législatif, a été promulgué et publié. Il s'insère donc dans l'ordre juridique interne et il devient la loi commune. Il consacre enfin le principe d'égalité entre l'homme et la femme en ne le cantonnant plus aux «droits politiques»; il soumet la polygamie à l'autorisation du juge et l'astreint à la satisfaction de conditions légales pratiquement draconniennes; il renforce par ailleurs la protection des droits de l'Enfant. Comment ne pas le dire ? Toutes les femmes marocaines éprouvent un immense sentiment de soulagement et de joie avec cette réforme annoncée et finalisée en quatre mois –sentiment relayé par la reconnaissance et l'admiration à l'égard de S.M. Le Roi pour ce nouveau projet de société articulé sur les valeurs de notre référentiel culturel et religieux mais aussi sur les exigences de la modernité. Une nouvelle dynamique doit être impulsée à partir de ce dispositif mis à niveau par rapport aux standards internationaux. Il s'agit de mobiliser les potentialités féminines dans l'édification d'une société plus juste, solidaire, résolument engagée dans le développement. Des disparités dans de nombreux domaines subsistent encore ; elle doivent être réduites et transcendées pour se rapprocher et se reformer aux principes clairement affirmés de l'égalité. Cela implique l'élaboration et la réalisation de programmes spécifiques orientés vers les femmes pour que celles-ci puissent bénéficier, au même titre que l'homme, des fruits du progrès social et du développement. Dans le domaine de l'éducation, il reste baucoup à faire ! Nombreux sont les obstacles qui entravent la scolarisation des filles, notamment dans le monde rural ; sans parler de la persistance d'images pas toujours «positives» qui sont données de la femme, dans le livre scolaire, les manuels d'alphabétisation et même dans la publicité et les mass-médias. C'est donc un autre regard tournant le dos à certains stéréotypes dévalorisants ou discriminants que la société doit porter sur la femme comme agent du progrès social et du développement. Pour ce qui est de la promotion de l'emploi et du travail, les indicateurs préoccupants ne manquent pas : la femme reste encore l'une des catégories sociales les plus frappées par la précarité, la marginalisation et le chômage. Le taux d'activité de la population féminine ne dépasse pas 33,4% ; il est de 79 ,4% pour les hommes. 1 femme urbaine sur 5 est active contre 3 femmes rurales sur 10 . Les femmes récemment diplômées constituent près de 45% de la population active féminine au chômage. Dans le milieu urbain, plus d'1 femme active sur 2 travaille dans le secteur informel. La division sexuelle du travail persiste et accuse un différentiel notable : la structure de l'emploi révèle ainsi que le statut d'aide familiale demeure prédominant chez la femme (41,7%); il est suivi par celui des salariées (29,5%) et des indépendants (15,3%). Ajoutons encore que les femmes actives ont une présence significative dans le secteur public à hauteur de 32% avec cette particularité que 4 d'entre elles sur 5 ont moins de 45 ans. Enfin, il est à rappeler que le salaire perçu par les femmes fonctionnaires est inférieur à celui des hommes: 4 sur 5 ont un salaire annuel inférieur à 40 .000 DH, alors que 7 hommes sur 10 se situent en dessous de ce niveau de rémunération. S'agissant d'un autre domaine, celui de la santé, les tâches à entreprendre sont immenses: leur mise en œuvre ne peut que contribuer à promouvoir la participation des femmes au développement. L'agenda est chargé à cet égard : généralisation des connaissances et de l'information relatives à la santé de la mère net de l'enfant, amélioration des services, planification familiale, aide aux ONG décentralisées,… Le mot d'ordre doit être la mobilisation des potentialités féminines sur le plan social et économique. Et c'est pourquoi un environnement favorable visant à améliorer les conditions de vie et de travail doit être créé et consolidé. C'est une politique volontariste qui doit être mise en œuvre dans ce domaine. Elle doit se traduire par la promotion des entreprises féminines, par l'aide à l'identification des projets porteurs et générateurs d'emplois et de revenus stables; elle doit également se déployer et s'articuler autour de la mise en place d'un système de financement adapté aux contraintes et aux spécificités des femmes. Un autre domaine relevant de la problématique actuelle des femmes dans le développement concerne la place et le rôle qui leur sont réservés dans la prise de décisions. Des freins et des résistances subsistent encore. Des études comparées ont montré qu'une masse critique d'au moins 30% de femmes constitue un paramètre adéquat d'évaluation des moyens offerts aux femmes pour participer à la prise de décisions. Des avancées ont été enregistrées au Maroc et ce, dans plusieurs secteurs d'activité. Le droit de citoyenneté doit pouvoir s'exprimer et se concrétiser dans le champ institutionnel et politique : la femme doit participer à la vie démocratique à la fois en tant qu'électeur que candidat. C'est donc une nouvelle stratégie qui doit être mise en œuvre pour que la femme soit un acteur à part entière que ce soit dans le domaine politique ou économique. Son rôle doit être mieux reconnu, davantage valorisé et soutenu par des actions concrètes, visibles et lisibles. Les femmes au Maroc, comme ailleurs, sont confrontées à la mondialisation et à la globalisation. Au plan social, cette nouvelle logique de l'économie planétaire pénalise évidemment les catégories sociales les plus modestes, les plus vulnérables aussi. Et parmi celles-ci, à n'en pas douter, les femmes et les enfants constituent le segment le plus touché. L'appareil productif qui va supporter le plus durement les effets de cette nouvelle contrainte dictée par les lois du marché régional ou international, s'articule surtout sur un tissu fait de petites unités couvrant les PME. Comment ne pas relever que la mise à niveau de ce secteur-là ne peut qu'aggraver la situation de l'emploi féminin avec des licenciements en masse, qui auront comme conséquence une féminisation du chômage et de la pauvreté ? Comment ne pas relever que la mondialisation pourra sans doute profiter à une minorité de femmes mais pas à la majorité d'entre elles qui ne sont qu'un volant de main-d'œuvre flexible, taillable et corvéable au gré des saisons et des carnets de commande ? C'est dire que les femmes ne doivent pâtir d'une mondialisation dont elles auront à supporter, en dernière instance, toutes les vicissitudes : en tant que population active, en tant que chômeuses parce que plus de 50% de la population féminine est analphabète et que les chances d'insertion dans le monde du travail sont aléatoires ; en tant qu'épouses, du fait de la fragilité de la situation de leurs maris, en tant que mères avec des enfants défavorisés, exclus et sans perspectives d'avenir. Les pistes des réformes à engager ne sauraient, à mon sens, minorer ou ignorer les réponses à trouver sur ce terrain pour édifier un projet de société couplant le développement durable et sa finalité sociale. C'est pourquoi nous devons nous atteler à mettre l'accent sur une autre culture de la mondialisation. Bref, humaniser un processus, certes inévitable, mais qui doit davantage se préoccuper de l'amélioration de la condition de l'homme et de la femme. Les normes internationales auxquelles le Maroc a adhéré sont sans aucun doute un puissant catalyseur de réformes. Mais, elles doivent être appuyées et activement relayées par la mobilisation de toutes les forces vives de la nation en vue de l'édification d'une société égalitaire et solidaire. Il nous appartient toutes et tous de mener les actions qui s'imposent pour promouvoir les droits des femmes, et la première priorité à cet égard est la lutte contre l'analphabétisme. Car nous ne le savons que trop : l'éradication de l'ignorance constitue en elle-même une victoire du savoir sur l'obscurantisme. C'est là le gage le plus précieux de la consolidation et de l'enracinement des droits de l'Homme dans des systèmes de liberté et de dignité. Par Aïcha Belqaid Professeur de droit (ENA) membre de l'Institut International des droits de l'Homme (Strasbourg)