ALM : Dans quelle mesure y a-t-il aujourd'hui urgence de réformer l'enseignement ? Mohammed Derouiche : L'an dernier notre syndicat avait organisé un séminaire sur «La question de l'enseignement, cause nationale, les points forts et les faiblesses du secteur». Tous les acteurs politiques et responsables gouvernementaux y avaient assisté. Nous nous étions arrêtés sur un certain nombre de dysfonctionnements. Mais personne n'a jugé bon de prendre au sérieux nos propos. Faut-il toujours que SM le Roi tire la sonnette d'alarme pour que les choses bougent et que les gens assument leur responsabilité ? Où résident les défaillances de notre système éducatif ? Comme l'a soulevé le Souverain dans son discours, il y a le problème de la langue. A ce jour, le Maroc n'a pas pu trancher la question de la langue d'apprentissage que doit utiliser l'enfant que ce soit à l'enseignement préscolaire, primaire ou secondaire. Il faut choisir la langue qui le prépare à accéder à l'enseignement supérieur, à s'intégrer dans la société du savoir et de l'économie et dans la modernité. Le temps est venu pour le gouvernement de prendre une décision audacieuse à ce sujet. Il est illogique qu'un élève étudie la langue arabe du primaire au secondaire pour se retrouver confronté à une autre langue à l'université. Aussi est venu le temps d'opter pour la langue anglaise ou espagnole comme langue d'enseignement. Qu'en est-il des programmes scolaires? Un autre problème qui donne du fil à retordre à notre système éducatif est celui des programmes. Le gouvernement doit être ferme dans le choix des programmes particulièrement au niveau de l'éducation nationale. Il y a des programmes très encombrants et complètement inutiles. L'élève marocain dans tous les niveaux est saturé par des matières contre-productives et nocives même, parfois contribuant à la préparation d'un mauvais citoyen imperméable à la modernité. L'objectif de l'enseignement est de produire un bon citoyen qui défend ses droits et exerce ses devoirs, conscient et ouvert sur le monde. Il y a aujourd'hui un retard profond entre les programmes et les besoins de la société moderne. Vous critiquez également les méthodes d'enseignement et d'apprentissage... Je cite le problème des méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Nous sommes très archaïques à ce niveau. Regardons par exemple l'Inde entre autres pays asiatiques, cette nation de plus d'un milliard d'habitants produit le plus grand nombre d'ingénieurs de par le monde. Ses classes de primaire comprennent 80 élèves mais avec chacun son propre ordinateur. Ainsi aujourd'hui le problème n'est pas une question de moyens, mais de gestion. Nous avons régressé sur un certain nombre d'acquis, avec un retour à la centralisation et l'interruption des écoles d'excellence. Les gouvernements successifs en assument une part de responsabilité. Des fois il m'arrive même de douter que les responsables gouvernementaux ont lu ou non la Charte nationale de l'éducation et de la formation. Celle-ci contient des mesures très avancées qui méritent d'être appliquées et développées. Comment remédier à cette crise que traverse le secteur de l'éducation et de la formation ? Il y a un chaînon manquant au niveau de l'application, rôle primordial de l'Exécutif. Mais il faut dire que la réforme de l'enseignement est une responsabilité qui concerne tout le monde, du gouvernement qui en est la locomotive, en passant par les enseignants, les parents, les collectivités locales, le monde économique et les premiers concernés qui sont les élèves et les étudiants. J'invite ainsi les responsables à bien lire le contenu de la Charte nationale de l'éducation, à en revoir certains points, en développer les acquis et promouvoir les avancées. Aujourd'hui tout le monde doit s'y mettre.