Retrouver Giacomo Puccini au Théâtre National Mohammed V à Rabat qui a offert, lundi soir, pour la première fois au public marocain, La Tosca, un des chefs d'œuvres lyriques de l'opéra de ce compositeur italien, fait figure d'événement. Dans une déclaration à la MAP, le chef d'orchestre, Benoît Girault a indiqué que “monter Tosca au Maroc est en tout cas un grand défi, un pari gagné, réussi de manière convaincante pour les musiciens de l'Orchestre philharmonique du Maroc (OPM)”. C'en est un ! Ce soir. Entendre les grands airs de la Tosca, une des œuvres des plus tragiques que Puccini ait composées, n'a pu que réjouir ses admirateurs mais aussi les auditeurs qui n'ont pas eu l'occasion par le passé de les découvrir et qui ont eu enfin aujourd'hui la chance de les savourer. La leçon de cet opéra est totale. Il faut dire que le théâtre national Mohammed V a la main heureuse avec des productions italiennes. Avec une sublime, “La Traviata”, opéra majeur de Verdi donné en 2000 et qui a remporté un succès franc, au regard des trois représentations qui s'étaient tenues à Rabat et auxquelles 4.000 spectateurs avaient eu le plaisir d'assister et qui a ainsi permis à l'OPM de continuer cette belle aventure musicale, une décennie plus tard, avec le chef d'œuvre du répertoire de Puccini, le magnifique Tosca. Dans ce contexte, le président fondateur de l'OPM, Farid Bensaïd a déclaré “Tosca de Puccini qui vient d'être donné au Théâtre National Mohammed V est un opéra italien des plus lyriques et des plus romantiques des opéras italiens, mais aujourd'hui il se fait de création marocaine, regroupant 80 musiciens, tous marocains, accompagnés de chœurs d'enfants marocains et de chanteurs français”. Le metteur en scène de Tosca, Jean Mark Biskup s'est, pour sa part “très content de cette distribution, un florilège de musiciens marocains de l'OPM, de chœurs marocains, de chanteurs français, venant d'horizons différents et qui ont donné le meilleur d'eux mêmes dans Tosca de Puccini”. Ce soir, le public a pu suivre l'intrigue de cette représentation de Tosca sur des prompteurs installés dans la salle qui diffusaient la traduction en français des joutes oratoires et des chants interprétés en italien. Dans ce 8ème opéra de Puccini, est mis en scène le destin tragique de Floria Tosca, cantatrice célébrée par tous et invitée régulièrement à la cour -dans la Rome Papale, en 1800- devant affronter un dilemme des plus insolubles pour sauver son amant, le peintre Mario Cavaradossi, emprisonné par Scarpia, le chef de la police de Rome, qui tombe fou, éperdument amoureux d'elle et lui promet de libérer son amant à condition qu'elle s'offre à lui. Tosca, interprété par les plus prestigieux ténors et sopranos, plus particulièrement Maria Callas qui en avait donné la plus tragique interprétation sur les scènes lyriques à travers le monde, habillée d'une robe rouge, couleur sang, dans une mise en scène de Visconti, est la preuve même du succès de ce chef d'œuvre de Puccini, quoique Madame Butterfly restait son enfant chéri : “l'opéra le plus sincère et le plus évocateur que j'aie jamais conçu”, disait-il. L'orchestre de Benoît Girault a fait, ce soir dans Tosca, la démonstration parce que dès le départ, le public est installé dans un univers contrasté, froid-chaleureux, écrasant, une atmosphère grandiose et mystérieuse qui convient en tout point aux affres de cette intrigue tragique. Y dominaient dans ses plus belles interprétations une grandeur épique, un geste romantique et lyrique porté à son paroxysme. Les musiciens ont transporté le public dans un monde fiévreux, orageux, aux caprices parfois effrayants (soprano et baryton), aux jeux interdits et aux passions sans entraves. Il fallait voir l'enthousiasme grandissant et les ovations du public à l'interprétation des lignes belliqueuses du périlleux de La Tosca. Que de peur, jalousie, crainte, angoisse et soif de vengeance dans cet univers intimiste et que la soprano colombienne Sandra Liz- Carthagena, et le baryton Jean Philippe Lafont, dans le rôle de Skarpia (le policier), sont parvenus à faire communiquer au public. La soprano écrasait et brûlait les planches et dévorait son personnage. Il faut dire que dès l'ouverture, tout est dit de La Tosca, dont le metteur en scène Jean-Marc Biskup a donné la clé : les personnages principaux, Tosca et Skarpia plus spécialement ne peuvent s'exprimer dans leur fougue et trouver leur énergie théâtrale que dans un décor d'une Rome puissante imprégnée d'art et de religion que Biskup a reconstitué. Tosca, une femme solitaire, belle comme le jour, jeune, illumine la scène comme une lune. Portant un bouquet de roses blanches affectueusement dans ses bras comme elle le ferait d'un bébé, assorti à sa robe blanche, elle avance d'un pas sûr, l'air conquérant, dominant la scène. Décidément Tosca est très encombrée, tout y était soigneusement disposé sur la scène, il ne manquait pas le moindre détail : sur des châssis peints, des trompes l'œil figuraient des “peintures religieuses de grands artistes italiens de la renaissance comme De Vinci, Michel Angeà (installés face au public pour reconstituer l'atmosphère de Rome à l'époque)”, comme à tenu à le préciser dans une déclaration à la MAP le metteur en scène Biskup. L'action de Tosca “se déroule dans trois lieux qui existent à Rome et auxquels j'y suis retourné pour m'imprégner de l'ambiance. Le premier acte se situe dans l'église Sant' Andrea della Valle, le deuxième au Palais Farnèse et le troisième acte au château Saint-Ange”, a-t-il dit. La musique devient incandescente, lorsque le bel canto romantique est porté à ce niveau d'interprétation. La soprano Sandra Liz était d'une exigence énorme avec son chant : diction, intonation, sens du legato et de l'ornementation, l'ensemble de ses paramètres étaient là pour se jouer de l'auditoire, lui faire sentir le drame psychologique, la profondeur ambivalente des sentiments, et bien sûr, le tragique de la situation. Il fallait aussi entendre Tosca chanter tout ce que lui fait endurer Scarpia, terrassée, après avoir cédé au chantage pour sauver son amant: “J'ai vécu pour l'art, j'ai vécu pour l'amour, je n'ai jamais fait de mal à personne”. Sa voix se faisait basse et gémissante de douleurs. Soudainement les tiraillements qui caractérisent la musique de Puccini prennent tout à coup leur juste mesure : une hauteur, une variété, une intensité de sons ahurissante ! Les passages des thèmes d'un groupe d'instruments à un autre, la cascade des couleurs, des sons, semblent dans le premier acte laisser les spectateurs abasourdis. Vient ensuite une prière, un chant à peine audible, des plus célestes de la soprano, invoquant Dieu en exposant son sacrifice d'avoir à offrir sa dignité alors qu'elle a toujours été vertueuse : “Pourquoi Seigneur voulez-vous me récompenser de la sorte ? J'ai donné des bijoux pour le manteau de la Vierge et j'ai donné ma chanson pour les étoiles, au ciel “. Le chef d'orchestre Benoît Girault était dans la situation d'un héros qui éprouvait toutes les difficultés du monde à dompter un monstre à plusieurs têtes. Ses gestes d'une grande ampleur avaient toute leur signification, quand il s'adresse aux violons, un moment et aux autres instrumentistes, un autre moment, tous répondent comme un seul homme. Le troisième acte : Quand les étoiles brillaient et la terre embaumait”, connu pour être le plus court, débute par un son de cloches puis s'enchaîne sur l'air le plus connu de Tosca, qui a été immortalisé par les plus grands vocalistes. Là, le jeu des musiciens, d'une pudeur dans l'éloquence, une humilité d'une toute autre nature, était harmonieux. Par un toucher, d'une finesse miraculeuse dont la beauté mêlée aux non-dits des polyphonies les plus secrètes-, et un jeu de nuances d'une émotion rare, le chef d'orchestre a mené dans très loin, dans l'univers féérique et fantomatique de l'œuvre de Puccini. Une réussite !