‘'C'est la disparition d'un homme exceptionnel, un patriote, un grand personnage qui a voué entièrement sa vie au 7ème art'', c'est en ces termes que le critique cinématographique, Ahmed Fertat, fait l'oraison funèbre du pionnier du cinéma marocain, Mohamed Ousfour, décédé le 17 décembre à Casablanca. Mohamed Ousfour est pour le cinéma marocain ce que les frères lumière représentent pour le 7ème art dans l'Hexagone et dans le monde. Il était l'''homme orchestre'', comme le surnomme Ahmed Fertat, puisqu'il faisait pratiquement tout de bout en bout de la chaîne de la production cinématographique. Tour à tour et à la fois, scénariste, producteur, acteur, éclairagiste et réalisateur. Et, fait inédit et impensable de nos jours, il faisait lui-même la projection de ses films. Des films tournés avec sa première caméra, une Pathé-baby 9 mm dont il a fait l'acquisition à l'âge de 14 ans chez un brocanteur. Son site de prédilection pour le tournage, la forêt de Sidi Abderrahmane, qui servira de toile de fond pour ses premiers opus, entre autres, ‘'Ibn al Ghaba'' (l'enfant de la jungle), ‘'Robin des Bois ‘'et ‘'Joha''. Quant aux projections, Ousfour les donnait dans son atelier de mécanique de Derb Bouchentouf, derrière le cinéma Kawakib. Car, Mohamed Ousfour était aussi mécanicien et aussi dans une vie antérieure, vendeur de journaux ambulant. Un petit métier qui va être à l'origine de son alphabétisation et surtout derrière la découverte de son premier film au cinéma; un film, certes, muet, mais qui va animer au fond de lui une passion qui ne le quittera plus jamais même dans ses moments de dépit faute de reconnaissance et surtout du soutien dans les années 70 et 80 à la production cinématographique. Des décennies au cours desquelles il cesse de faire des films sans pour autant abandonner le cinéma puisque les cinéastes internationaux qui venaient planter leurs caméras dans les décors du pays faisaient appel à ses services en tant que technicien, notamment Orson Welles dans son chef-d'oeuvre ‘'Othello'' en 1952. Grâce à lui, le cinéma a fait son entrée dans les quartiers populaires à une époque où la fréquentation des salles obscures était l'apanage d'une certaine élite, les colons. De la mémoire A ses débuts, Mohamed Ousfour, comme le rappelle avec amusement et non moins admiration son biographe, ira jusqu'à utiliser la dynamo de sa bicyclette pour alimenter sa caméra, un jour de panne électrique. Preuve que le bricolage n'avait pas de secrets pour Mohamed Ousfour qui mettra un peu plus tard ce don inné de la débrouillardise à profit pour concevoir les premiers effets spéciaux du cinéma marocain. Il tourne à un âge précoce et avec des moyens précaires plusieurs courts-métrages dans lesquels il campe parfois le rôle principal et qui sont souvent des films d'action comparables aux aventures de Tarzan, qui est d'ailleurs son surnom et le premier film qu'il a eu l'occasion de voir dans son enfance. Et après le baptême nécessaire des courts, Mohamed Ousfour passe à la vitesse supérieure. En 1958, il sort son premier long-métrage du cinéma marocain, ‘'L'Enfant maudit'' (Al Ibn Al Aâq). Le premier long-métrage dans le répertoire du cinéma marocain. Il récidive en 1970 en réalisant ‘'le Trésor Infernal'', un film où l'on est d'emblée impressionné par le nombre imposant des figurants qui exprime à l'évidence la fascination de Mohamed Ousfour pour les super productions hollywoodiennes. Et outre ses œuvres cinématographiques, Mohamed Ousfour, patriote comme il est, a aussi énormément contribué à la médiation de la cause marocaine pour l'indépendance puisque certains de ses reportages sur des événements tragiques de répression de la résistance ont servi aux nationalistes pour plaider dans les instances internationales la cause nationale. Il a aussi immortalisé le retour de l'exil du Père de la Nation, Feu SM Mohammed V. Mohamed Ousfour a rendu l'âme à Casablanca, sa ville d'adoption où 72 ans plutôt, exactement en 1933, il élut domicile à l'âge de 6 ans en compagnie de sa famille venue de la région de Abda-Doukkala. Et c'est d'ailleurs en hommage à ce grand magicien de la pellicule que les trophées décernés par le Festival du Film Francophone à sa naissance en juillet 2003 à Safi ont été baptisés par les organisateurs en son nom, ‘'Ousfour d'or''. Mais l'hommage qu'il s'agit aujourd'hui de lui rendre, c'est de revisiter son œuvre et d'en prendre tout le soin nécessaire pour la préserver de la déperdition comme il fut le cas pour ‘'l'orphelin'', un long-métrage du défunt dont la copie à disparu à jamais. Les responsables de la chose culturelle, les critiques, les chercheurs se doivent tous de faire ce travail de mémoire. Quant à nos cinéastes, surtout ceux qui ne cessent de se lamenter sur leur sort prétextant la modicité des moyens, ils devraient plutôt méditer l'exemple de Mohamed Ousfour qui, avec des moyens rudimentaires et de la récupération de la pellicule utilisée, est parvenu quand même à faire un vrai cinéma. http://www.maghrebarts.ma/cinenews/051218.html